– « Elle va bien. Après avoir vécu quelque temps sur l’Île Dormante, dans les Fjords, elle habite désormais la Cité Sans Hiver », répondit Hill en souriant. « J’ai entendu dire que Mlle Quinn était particulièrement proche de la Princesse Tilly, sœur de Sa Majesté, aussi doit-elle être traitée comme une invitée de marque. »
Suivirent ensuite quelques anecdotes au sujet d’Andrea. Otto apprit ainsi que la sorcière aimait jouer aux cartes et améliorer ses compétences de tir. Il lui arrivait parfois de se disputer avec une camarade au cours d’une partie de cartes, mais dans l’ensemble, elle s’entendait bien avec elles.
Tout à ces nouvelles, il faillit en oublier que le temps passait. Mais des bruits de dispute à l’extérieur de la pièce le rappelèrent à la réalité.
– « Que se passe-t-il ? » Hill s’interrompit aussitôt, se dirigea à grands pas vers la porte et regarda par la fente : « Il semblerait qu’il y ait un problème au rez-de-chaussée. »
– « Asseyez-vous », recommanda Otto. « Je vais envoyer quelqu’un pour s’en assurer. » Puis il cria à travers la porte : « Quel est donc ce bruit dehors ? Allez-voir ce qui se passe! »
– « Tout de suite, Monseigneur », répondit la serveuse depuis le couloir.
– « Il s’agit peut-être d’un homme ivre », dit-il en se tournant vers Hill. Il remonta la couverture sur lui : « C’est une taverne, aussi cela se produit de temps à autres, même si ce n’est pas fréquent. Vous m’avez dit tout à l’heure que Mlle Quinn avait participé à un concours de chasse à La Cité Sans Hiver. Qui a gagné ? »
Hill porta un doigt à ses lèvres pour lui recommander le silence et colla doucement son oreille contre la porte.
Au bout de quelques secondes, son visage s’assombrit.
– « Ce sont des hommes en armure et qui sont armés. »
– « Comment ?! » S’exclama Otto, un peu abasourdi.
– « J’ai entendu des bottes de fer et des coups d’épée. Qui donc aurait l’idée de venir boire en armure complète ? » Puis, sans attendre le retour de la serveuse, il alla droit à la banquette et souleva la planche. « Et je ne pense pas qu’un homme ivre irait jusqu’à se déguiser en chevalier. Nous avons des problèmes. »
– « Comment …comment est-ce possible ? » S’exclama Otto en fronçant les sourcils : « Croyez-moi, je n’ai-absolument pas … »
– « Soyez tranquille, si je n’avais pas confiance en vous, je ne serais pas ici », coupa Hill.
– « Dans ce cas, nous nous reverrons à un autre moment. Partez le premier, car si vraiment c’est vous qu’ils cherchent, je pourrai les retenir », répondit Otto qui pensait, à regrets : « cet entretien étant terminé, j’ignore quand j’aurai le plaisir d’en apprendre davantage au sujet d’Andrea… »
– « Vous ne partez pas avec moi ? » Demanda Hill, un peu surpris. « De toute évidence, ce n’est pas une visite de courtoisie. Vous feriez mieux de rentrer chez vous. »
– « Rassurez-vous, ils ne s’en prendront pas au fils aîné de la famille Luoxi », répondit Otto en secouant la tête. En effet, il s’était bien gardé de dire à son père qu’il tentait de sauver les sorcières et avait, en secret, contacté les éclaireurs de Roland. S’il prenait la fuite au moment même où ces gens venaient chercher les membres de la délégation, cela pourrait éveiller les soupçons du Roi. C’est alors qu’il aurait réellement des problèmes. « Si personne ne connait ce passage secret, il n’est pas difficile de le découvrir », ajouta-t-il. « S’ils ne trouvaient personne ici, cela pourrait attiser leur méfiance, c’est pourquoi je vais rester car c’est le seul moyen pour vous de fuir en toute sécurité. »
Hill n’insista pas.
– « Dans ce cas, bonne chance », dit-il avant de se laisser glisser dans le tunnel secret.
Otto remit en place le canapé, la couverture et s’allongea dessus.
Peu de temps après, il entendit dans l’escalier de lourds bruits de pas accompagnés de frottements métalliques. La serveuse partie s’enquérir de la situation n’était toujours pas revenue.
Soudain, sans même frapper ni demander à entrer, un groupe de chevaliers lourdement armés fit irruption dans la pièce.
– « Que faites-vous ici ? » Demanda Otto, furieux. « Cette auberge est la propriété privée du Comte Luoxi ! Auriez-vous l’intention de commettre une trahison ? »
Il allait se lever pour chasser ces hommes grossiers lorsque, contre toute attente, ceux-ci s’avancèrent et le poussèrent fermement sur le canapé.
– « Pardon, Monsieur », répondit le chef des chevaliers. « Ce n’est pas nous qui trahissons, mais vous. »
Ils portaient des armures d’or et, sur la poitrine, l’emblème de la Chevalerie Royale, cependant, Otto ne les avait encore jamais vus.
D’où pouvaient-ils bien sortir ?
– « Laissez-moi partir! » Cria-t-il en se débattant. « C’est de la diffamation! »
– « Vous expliquerez cela à Sa Majesté », répondit le chevalier. « Vous n’avez pas été à la hauteur de sa confiance, Monseigneur. »
En entendant prononcer le nom d’Alban Misra, Otto sentit son cœur se glacer.
Deux jours plus tard, il se retrouva face à Sa Majesté.
– « J’ai entendu dire que vous n’aviez rien mangé depuis deux jours et insistez pour me voir ? » S’enquit Alban dont le visage était encore un peu las mais qui semblait avoir muri. Son regard exprimait des émotions qu’Otto ne lui connaissait pas. « Puisque vous voilà satisfait, mangez à présent. »
– « Où suis-je ? » Demanda le jeune homme d’une voix rauque, les mains agrippées aux barreaux d’acier. « Pourquoi suis-je ici ? Qu’avez-vous fait à mon père ? »
– « Vous n’êtes pas satisfait de votre chambre ? » Demanda Alban en jetant un regard circulaire dans la pièce. « Je l’ai pourtant faite décorer selon celle que vous aviez dans le manoir ducal. Certes, ce n’est pas très grand, mais vous avez un lit, un bureau, des chaises et une bibliothèque. Vous pouvez donc vivre confortablement. » Il marqua une pause avant d’ajouter : « Vous vouliez savoir où vous vous trouvez ? Mais sous le palais, bien sûr! En effet, je ne suis tranquille qu’en vous sachant enfermé ici. »
Otto serra les dents :
– « Votre Majesté, il faut que je vous parle! Je ne vous ai jamais … »
– « Trahi ? » Coupa le Roi de l’Aube. « Pensiez-vous que j’allais continuer de croire à ces mensonges pour me faire à nouveau duper ? Il m’a fallu deux mois pour trouver des indices au sujet des sorcières. Je n’aurais jamais pensé que vous puissiez être impliqué. Mais vous avez demandé à Joël, Ambassadeur de Graycastle, de prendre part une vente aux enchères organisée par les Marchands Noirs, après quoi vous l’avez aidé à quitter la Cité de Lumière. Si ce n’est pas de la trahison, alors qu’est-ce que c’est ? » Dit-il en élevant le ton, visiblement très en colère. « N’avez-vous pas appris, ce fameux jour au palais, comment le Roi de Graycastle a fait fi de notre alliance et foulé aux pieds l’esprit de mon père ? »
– « Je… »
– « Est-ce pour ces traîtres ou pour ces maudites sorcières dont la place est en enfer ? » Demanda Alban d’un ton plein de haine. « Assez, Otto Luoxi! Si vous n’étiez pas mon ami d’enfance, fils aîné des trois grandes familles, je vous aurais depuis longtemps envoyé à la potence! Pour le moment, j’ai encore besoin du soutien des trois familles, mais cela ne signifie pas que j’aurai à jamais besoin de vous. Je vous donne une dernière chance. Ne m’obligez pas à recourir à nouveau à de telles mesures! »
À ces mots, le cœur d’Otto se serra. Jamais il n’avait vu une telle fureur dans le regard de son compagnon de jeu. Soudain, la pensée de ces Chevaliers Royaux, qu’il n’avait jamais vus auparavant, lui revint à l’esprit.
Peut-être avaient-ils perdu la confiance du Roi depuis la mort de son père ?
– « Mais j’y pense : vous souhaitiez savoir ce qui était arrivé à votre père », dit Alban qui s’apprêtait à partir, d’un ton froid. « Soyez tranquille, il va bien. Il assistait encore à l’assemblée de la cour ce matin. Si vous acceptez de vous nourrir, il restera un bon aristocrate fidèle à la famille royale. Cessez donc cette stupide grève de la faim, cela vaut mieux pour vous et moi car si vous persistez, je me verrai contraint de recourir à la manière forte. »