– « Vous seul pouvez décider », dit Dylin d’un air grave.
En effet, le choix que faisaient les gens lorsqu’ils accédaient au rang de Divinités par leurs propres moyens serait déterminant pour leurs réalisations et leur développement futurs.
Linley n’eut pas besoin d’y réfléchir, son cœur penchant de lui-même vers la seconde solution. Lui qui avait passé sa vie à parcourir le chemin menant à la compréhension du Vent et de la Terre n’avait aucune envie d’abandonner l’un de ces deux éléments.
– « Dites-moi, Seigneur Dylin, si l’on choisit la seconde alternative, si par exemple, je deviens une Divinité d’affinité Vent et qu’au moment où cela se produit, je laisse l’étincelle en dehors de mon corps, c’est autour de cette étincelle que l’univers concevra mon nouveau corps, je me trompe ? Si mon âme est alors divisée, elle ne fera aucune différence entre mon être original et mon clone, n’est-ce pas ? »
– « C’est exact », acquiesça Dylin.
– « Dans ce cas, je voudrais savoir : si le clone devient une Divinité, qu’en est-il de l’original ? Gagnera-t-il en puissance ? » Demanda Linley qui accordait une grande importance à cet aspect.
En effet, si son clone devenait une divinité mais que son corps d’origine demeure au niveau Saint, ne serait-ce pas une grande faiblesse ?
– « Votre pouvoir augmentera et votre corps d’origine pourra emprunter du pouvoir divin à votre clone », répondit Dylin qui ajouta en secouant la tête : « Malheureusement, vous ne ferez que l’emprunter et même en grande quantité, votre corps ne possédant pas d’Étincelle Divine capable de fusionner avec ce pouvoir, il restera beaucoup plus faible que s’il s’agissait du véritable pouvoir divin. »
César se mit à rire :
– « Sachez, Linley, que parfois, certains saints de diverses religions peuvent aussi emprunter un peu de pouvoir divin. »
Linley hocha légèrement la tête.
– « Vous seriez comme eux, à une exception près : vous ne pourriez emprunter le pouvoir qu’à votre clone divin. Bien entendu, vous n’auriez pas à faire de sacrifice pour pouvoir emprunter une grande quantité d’énergie mais en l’absence d’Étincelle Divine compatible, votre pouvoir serait juste un peu plus faible », poursuivit César.
– « J’ai compris », acquiesça Linley.
En effet, il était parfaitement conscient de l’importance de l’Étincelle Divine sans laquelle un corps, même en présence de pouvoir divin, ne pourrait pas, par exemple créer un Royaume Divin.
– « Cependant », reprit Dylin, « même si le corps d’origine est plus faible, il existe toujours des moyens de le protéger. Comme le clone et l’original ne sont en fait qu’une seule entité, il vous est possible de le réabsorber dans votre corps d’origine », dit-il en souriant. « Vous pourrez ainsi bénéficier de sa force. »
Linley acquiesça discrètement, mais en réalité, le fait de faire fusionner le clone avec son corps d’origine n’augmenterait pas son pouvoir.
« Certes votre pouvoir n’augmentera pas », confirma Dylin « mais votre corps d’origine sera mieux protégé. Pour tout vous dire, le seul avantage réel de ce second choix est… de vous permettre de vous former à d’autres Lois Elémentaires et le seul véritable inconvénient : votre âme sera divisée en deux! »
Il posa sur Linley un regard grave et ajouta : « L’âme étant l’essentiel d’une créature vivante, il est très difficile de la transformer ou de la renforcer, aussi cette soudaine scission aura-t-elle pour effet de l’affaiblir de moitié. Il en résultera des conséquences pour ce qui est de la formation, de la rapidité et de la résistance à l’ennemi. »
– « Je comprends », dit Linley. « Lorsqu’on gagne quelque chose, on perd autre chose. Il n’existe pas de médaille sans revers. »
– « C’est bien que vous sachiez cela », répondit Dylin.
Une foule de questions assaillirent Linley : « Qu’arrive-t-il à Dylin ? Pourquoi m’a-t-il donné tous ces détails concernant l’accession à la Divinité ? Cela ne lui ressemble pas. »
– « N’oubliez pas ce dont nous avons parlé précédemment », dit O’Brien, le Dieu de la Guerre, d’une voix sonore. « C’est à vous que j’ai l’intention de confier le problème de l’Île Sacrée et de l’Église Radieuse. »
– « Ne vous inquiétez pas », répondit Linley, une lueur dure dans le regard.
Combien d’années avait-il dû attendre pour avoir l’occasion de détruire l’Église Radieuse!
– « Très bien », dit calmement le Dieu de la Guerre. « Vous pouvez vous retirer à présent. »
Linley, Desri, Fain et Tulily se levèrent aussitôt, s’inclinèrent respectueusement et quittèrent la résidence calme et isolée du Dieu.
– « Je vous félicite, Linley » dit soudain Fain. « Le Maître et les autres vous ont traité si amicalement qu’il est évident qu’ils vous considèrent déjà comme l’un des leurs. »
Linley, lui aussi, était surpris et il comprenait parfaitement l’amertume de ces trois experts. En effet, après des milliers d’années d’entraînement, ils n’avaient toujours pas fait de découverte fondamentale.
– « Je suis persuadé, Fain, que vous n’allez pas tarder à accéder à un nouvel échelon tous les trois. »
Desri éclata de rire :
– « C’est vrai », dit-il. Avez-vous oublié les paroles du Seigneur Beyrut ? Si nous avons confiance en nous, nous pourrions évoluer en une journée seulement. »
– « Oui! Nous réussirons! » dirent simultanément Fain et Tulily dont les yeux s’illuminèrent.
S’ils y parvenaient par leur propre moyen, ils n’auraient pas besoin d’Étincelle Divine. Cependant, c’était terriblement difficile.
– « Linley, quand allons-nous détruire l’Île Sacrée de l’Église Radieuse ? » Demanda Desri.
Linley demeura un moment silencieux avant de répondre :
– « Pour moi, le mieux serait de régler cette question au plus vite. »
En effet, à la seule pensée de détruire l’Église Radieuse, son sang se mettait à bouillir et il se sentait vivant. « Pour l’heure, rentrons chez nous. Demain, nous convoquerons nos forces afin qu’elles se préparent. Et après-demain, soit le huit au matin, vous viendrez à mon Château du Sang de Dragon et nous prendrons ensemble la direction de l’Île Sacrée. »
– « Très bien, va pour le huit », approuvèrent Tulily et Desri.
– « Vous ne perdez pas de temps, Linley! » Dit Fain en riant. « Je devrais moi-aussi me dépêcher d’éradiquer le Culte des Ombres. »
Linley rit à son tour :
– « Allons, Fain, nous partons à présent », dit-il.
Sur ce, il prit son envol en direction de l’Est, suivi de Desri et de Tulily.
Le Château du Sang de Dragon était situé dans la partie nord de l’empire Baruch tandis que Desri vivait au sud et Tulily dans les grandes plaines de l’extrême orient. Au bout d’un court moment, ils durent donc se séparer.
Un vent fort faisait flotter la tunique de Linley qui volait à grande vitesse, traversant les cieux, les nuages et la brume.
– « Linley, attendez un instant!» entendit-il soudain tandis qu’une silhouette floue et indistincte faisait son apparition.
Devant lui se dressait un jeune homme au physique quelque peu démoniaque, vêtu d’une robe couleur d’or sombre et avec sur le front une cicatrice semblable à celle laissée par un coup de couteau.
– « Seigneur Dylin! » S’écria Linley, quelque peu surpris.
L’expert, environné de son aura particulière, affichait un sourire sincère.
– « Vous volez plutôt vite », dit-il. « De toute évidence, votre séjour dans la Nécropole des Dieux vous a permis de progresser de façon significative. »
Linley était totalement confus.
En effet, il ne volait pas à pleine vitesse. Pourquoi donc Dylin trouvait-il qu’il était rapide ?
« S’il me flatte sans raison, c’est qu’il a sans doute quelque chose à me demander », pensa-t-il aussitôt.
– « Que puis-je pour vous, Seigneur Dylin ? » Demanda-t-il de but en blanc.
L’expert prit une profonde inspiration :
– « Pour tout vous dire… Je suis né il y a des dizaines de milliers d’années. J’ai vécu, il y a dix mille ans, la terrible Guerre Apocalyptique et, il y a cinq mille ans, la Guerre des Dieux. Durant tout ce temps, je me suis efforcé de protéger mes enfants mais hélas, il y a cinq mille ans, nous avons été emprisonnés dans le Plan de Gebados… »
Linley était abasourdi.
« Je sais qu’il y a cinq mille ans, des experts en provenance d’autres plans sont descendus. Mais quelle est cette Guerre Apocalyptique à laquelle il fait allusion et qui aurait eu lieu il y a dix mille ans ? »
En effet, il n’avait jamais entendu parler de cette bataille qui, d’après ce que Dylin semblait dire, avait été plus terrifiante encore que celle qui s’était déroulée cinq mille ans auparavant.
En voyant l’expression de son visage, l’expert Divin comprit aussitôt :
– « C’est la Guerre de l’Apocalypse qui vous intrigue ? » Demanda-t-il en riant, ravi de pouvoir dévoiler ses secrets à Linley étant donné qu’il avait une faveur à lui demander.
Ce dernier acquiesça.
« Cette guerre a été d’une ampleur bien supérieure à celle qui s’est produite il y a cinq mille ans », expliqua-t-il. « Autrefois, en effet, ce plan se composait de cinq continents. »
« Cinq ? » Jamais Linley n’avait entendu mentionner ce détail, totalement absent des livres d’histoire.
« Yulan était situé à l’extrême nord tandis que les quatre autres se trouvaient tous dans les Mers du Sud. Étant donné la distance d’environ dix millions de kilomètres qui les séparaient, le commun des mortels, à l’époque, ignorait totalement l’existence d’autres continents. Au cours de la Guerre Apocalyptique… » Dylin soupira : « une guerre à grande échelle vraiment destructrice, les vagues se sont élevées jusqu’au ciel et l’espace lui-même s’est déchiré. Les ondes de choc résultant des combats qui avaient lieu dans les fonds sous-marins ont même eu des répercussions sur les terres voisines. Les quatre continents du sud ont donc été détruits et l’une après l’autre, les Divinités sont tombées. »
Le cœur de Linley se brisa. Une bataille à ce point virulente qu’elle avait détruit quatre continents ? Quel pouvait être le niveau des experts impliqués ?
« C’est aussi à cause de cette guerre que Lord Beyrut a officiellement pris le contrôle du continent Yulan », soupira Dylin. « Et moi qui, à l’époque, étais déjà un Demi-Dieu, je n’ai pas osé prendre part au combat et suis resté caché ici, sur le continent. »
Linley imaginait parfaitement la scène.
« J’ai entendu dire que les Étincelles Divines et les cadavres de Divinités contenus dans la Nécropole des Dieux proviendraient de cette Guerre Apocalyptique », ajouta Dylin. « Mais bien entendu, je n’en ai aucune preuve. »
Linley hocha légèrement la tête. Après tout, son interlocuteur n’avait pas pris part à la bataille.
« Comme je vous le disais, il y a cinq mille ans, mes enfants et moi avons été emprisonnés dans le Plan de Gebados. Cet endroit… était un véritable cauchemar », murmura-t-il. « J’ai perdu là-bas deux de mes cinq enfants. Heureusement, nous avons pu nous échapper et rentrer sur le continent Yulan. »
Jusqu’à ce jour, Dylin n’avait toujours pas dit à Linley que c’était grâce à lui qu’il avait pu s’enfuir.
« C’est alors qu’un autre de mes enfants est mort », ajouta-t-il, les yeux remplis d’un chagrin irrépressible. « Il est si difficile de devenir une Divinité! Plus encore pour mes enfants qui ne sont que des Lions Ni à Six Yeux. Ils auront bien du mal de dépasser leurs limites naturelles. Desri et Fain seront peut-être en mesure de percer grâce à une illumination, mais des Créatures Magiques… C’est bien plus difficile pour nous que pour les humains. C’est pourquoi j’aimerais vous demander… de me donner l’une de vos Étincelles Divines », dit-il avec un regard sincère.
Linley comprit aussitôt.
« Bien entendu, je ne veux pas que vous y perdiez. Je ne possède pas de trésors aussi précieux qu’une Étincelle Divine, mais je détiens des artefacts divins que je peux vous donner en échange. Que diriez-vous de trois artefacts ? Je peux aussi vous faire don de mes gants divins personnels », proposa Dylin avec empressement.
À voir les efforts qu’il avait déployés pour les protéger à la Prison de Gebados, il était évident que l’expert Divin aimait profondément ses enfants.
À l’origine, il leur avait interdit de se rendre à la Nécropole des Dieux, mais Cléo et ses frères désiraient tant devenir des Divinités qu’il n’avait pas pu les en empêcher. L’un d’entre eux étant mort au cours de ce périple, Dylin avait pris la décision d’outrepasser sa fierté et de venir demander à Linley l’une de ses trois étincelles qui, à ses yeux, étaient beaucoup plus précieuse que ses artefacts divins.
Quatre artefacts pour une Étincelle Divine… Le marché n’était guère équitable pour Linley car pour un Saint, les chances de pouvoir parcourir le onzième étage étaient bien minces. Si son succès lui avait permis d’obtenir ces trois Étincelles Divines, cette opportunité ne se représenterait sans doute jamais.
– « Bon, c’est d’accord », acquiesça-t-il.
Dylin était en extase. D’un geste de la main, il récupéra les trois artefacts qui étaient tous des armes de type lame tandis que dans ses mains apparaissait une paire de gants couleur d’or sombre. Parmi tous les artefacts divins, ces derniers étaient les plus précieux en termes de valeur.
– « Voici l’Étincelle Divine », dit Linley en récupérant l’étincelle de type Destruction, voie dans laquelle s’entraînaient les Lions Ni Dorés.
Dylin sentit son cœur trembler d’émotion. En effet, s’il se rendait lui-même dans la Nécropole des Dieux, il serait contraint de commencer son périple au douzième étage et pourrait difficilement se procurer une Étincelle Divine, même pour lui.
– « Merci, merci! » S’exclama l’expert, très excité en dépit de son tempérament habituellement très dur. « Attendez un moment. Je vais dissoudre le lien de propriété que j’ai établi avec les gants. »
– « Seigneur Dylin, je n’ai pas besoin de ces artefacts divins », dit Linley.
En effet, il ne manquait pas de lames et ce n’étaient pas deux ou trois de plus qui feraient la différence. Quant aux gants, étant un combattant à l’épée, ils ne lui seraient d’aucune utilité.
– « Comment ?! » S’exclama Dylin, abasourdi.
– « Je n’en ai pas besoin », répéta Linley en secouant la tête. « Mais si un jour je requiers votre assistance, j’espère seulement pouvoir compter sur vous, Seigneur Dylin. Ce serait formidable. »
Malgré sa réticence à se séparer de ces gants divins, Dylin était quelqu’un de très orgueilleux et à ce titre, il ne supporterait pas de recevoir une Étincelle Divine de Linley sans rien lui donner en échange.
Aussitôt, il s’agita :
– « Mais… c’est inacceptable!! »
Il se sentait coupable, terriblement redevable envers Linley. Qu’allait-il pouvoir faire pour compenser cela?