C’était le dernier jour de l’hiver. Une expédition composée de survivantes de Taquila, de sorcières et de soldats de la Cité Sans Hiver prit enfin la route pour l’ouest de la Région Occidentale.  

Debout près du quai, Roland regarda partir le navire de ciment qui emmenait tous ces gens.

Cette exploration était sans doute l’opération la plus complexe de l’histoire, dans la mesure où la Première Armée, l’Association des Sorcières et les sorcières de Taquila allaient collaborer pour mener une fouille approfondie de la Grande Montagne enneigée. Si tout se passait sans encombres, dans trois jours, ils arriveraient à la source de la Rivière Écarlate et se mettraient à la recherche d’un endroit abrité des vents où ériger leurs tentes.

Ils enverraient d’abord leurs éclaireurs pour localiser les ruines à l’aide de l’Arche Magique de Marge, puis feraient appel au ver dévorant contrôlé par Fran pour ouvrir un tunnel dans la paroi afin de permettre au reste du groupe de pénétrer dans la montagne.

Cette opération n’était guère différente d’un pillage de tombeaux.

Roland brûlait de voir les vestiges des anciennes civilisations jadis présentes dans la montagne, cependant, étant donné qu’il avait été autrefois transpercé par la lance d’un Diable, Wendy et Sophia s’étaient opposées à ce qu’il les accompagne.

Cependant, l’équipe ne baisserait pas pour autant sa garde. Quant à l’éventuelle présence de créatures magiques invisibles, comme celles qui avaient surgi un jour dans la Forêt aux Secrets, Roland avait tenu à ce que Rossignol se joigne à l’expédition.  En effet, vu l’importance de cette équipe, jamais Sylvie ne pourrait veiller sur tous, en particulier s’ils étaient contraints de se séparer. De leur côté, les sorcières de Taquila avaient également apporté leurs trois dernières Pierres à Cinq Couleurs afin de pouvoir détecter toute éventuelle présence de pouvoir magique.

Selon Pasha, tout objet chargé de magie émettait un rayon de lumière à son sommet. C’était également valable pour les Diables et les bêtes démoniaques, même s’ils n’émettaient qu’un rayon très ténu.

Roland était persuadé que son équipe, constituée de cinquante Sorcières du Châtiment Divin, de cinq cents soldats et d’un important groupes des Grandes Éveillées, était incontestablement invincible. Si l’opération réussissait, elle constituerait sans aucun doute possible une base solide à la future collaboration entre gens ordinaires, guerriers extraordinaires et sorcières.

– « Rentrons », dit Roland à Anna en chassant les flocons de neige qui s’étaient posés sur son nez.

– « D’accord », répondit la sorcière en levant les yeux sur lui avec un sourire.

En l’absence de Rossignol, c’était en effet Anna qui veillait sur la sécurité du Roi et étant donné leur intimité, ils étaient très à l’aise l’un près de l’autre.

Roland la prit par la main et reprit le chemin du château.

En entrant dans le corridor, il fut très surpris de découvrir Phyllis.  

« Vous n’êtes pas partie avec eux à la Montagne Enneigée ? » Demanda-t-il en fronçant les sourcils. « Je pensais que l’exploration de ces ruines souterraines vous intéresseraient. »

– « C’est le cas, « répondit Phyllis en haussant les épaules. « Cependant Pasha préférait que je reste ici. Je connais le château mieux que personne et la plupart de vos hommes savent qui je suis. Qui d’autre mieux que moi pourrais défendre le château en cas de nécessité ? »

En effet, aussi forte que puisse-être Anna, elle perdrait tout pouvoir magique à proximité d’une Pierre du Châtiment Divin. Par ailleurs, ses talents était davantage des compétences académiques que des capacités de combat. Si son pouvoir magique venait à être annihilé, elle et Roland se retrouveraient dans une situation périlleuse, c’est pourquoi Pasha avait insisté pour qu’une Sorcière du Châtiment Divin reste au château pour les protéger.  

Celles-ci pouvant manipuler à leur guise les zones anti-magie, elles pouvaient aisément venir à bout de n’importe quelle sorcière. Leur enveloppe corporelle, insensible aux maladie et aux blessures quelles qu’elles soient, leur permettait de se battre dans des conditions extrêmes et d’avoir une chance de l’emporter, même contre des Extraordinaires.

– « Dans ce cas, je vous remercie par avance », répondit Roland.

– « Je ne fais que mon devoir », répondit Phyllis en inclinant la tête. « En principe, je resterai dans le corridor et si jamais quelque chose se produit, j’accourrai aussitôt. »  

Roland comprit que si Phyllis avait pris cette décision, c’était pour éviter tout conflit ou suspicion inutile, les vastes espaces tampon entre le premier étage et son bureau permettant à la fois aux protecteurs et aux protégés de jouir d’une certaine intimité sans se sentir gênés par la présence de l’autre. C’était un équilibre délicat et si les sorcières de Taquila avaient insisté pour que leur garde s’installe dans son bureau, quand bien même ce ne serait que pour sa sécurité, cela n’aurait fait qu’irriter Roland.

Pasha en avait probablement tenu compte lorsqu’elle avait choisi Phyllis pour lui tenir lieu de protectrice, dans la mesure où celle-ci connaissait les sorcières de l’Association mieux que toute autre Sorcière du Châtiment Divin.

Néanmoins, Roland, qui, en matière de sécurité, ne pouvait se fier uniquement à son alliée, et ce même si le fait d’être protégé par une Sorcière du Châtiment Divin réduisait considérablement les dangers, avait placé des gardes et des soldats à chaque étage, dans l’escalier et devant la porte de sa chambre.  Ceux-ci étaient supposés se relayer toutes les huit heures afin de s’assurer que tout se passe bien.

En revenant dans son bureau, Roland trouva Sophia qui l’attendait.

– « Votre Majesté », dit la Sorcière avec une parfaite révérence. « J’ai confirmation de la capacité dérivée de Lily », ajouta-t-elle en lui tendant un rapport.

Une lueur passa dans les yeux de Roland :

– « Vraiment ? » Dit-il en s’emparant du document qu’il parcourut attentivement.   

L’hiver tirait à sa fin et bien que les Mois des Démons ne fussent pas terminés, la plupart des sorcières avaient passé paisiblement le jour anniversaire de leur Éveil, en particulier Lily qui était entrée dans l’âge adulte une semaine auparavant.

Comme pour Lucia, Roland avait passé cette journée auprès de Lily. Outre l’augmentation substantielle de son pouvoir magique, la jeune femme avait découvert avec joie que sa capacité présentait quelque chose de nouveau.

Nul doute que Lily avait eu la chance, en entrant dans sa vie d’adulte, d’obtenir des compétences dérivées.  

Mais elle avait encore du mal à saisir ces capacités, beaucoup plus subtiles que la principale et, de fait, plus difficile à percevoir. Sophia, par exemple, avait mis deux ans pour apprendre à utiliser le Livre Magique.

Mais selon Ayesha, ce n’était pas vraiment un problème. En effet, il suffisait, pour surmonter cet obstacle, d’exercer sans cesse ses compétences principales et de chercher progressivement la réponse.

Le lien entre une compétence dérivée et la capacité principale étant similaire à la relation existant entre des racines, des brindilles et des feuilles, rares étaient les sorcières dont le talent annexe était totalement différent du principal. Pour preuve la capacité de Sylvie à distinguer le pouvoir magique ou encore le pinceau de Soraya.

– « Serait-elle à présent en mesure d’absorber une population “parent” et de la conserver dans son corps ? » Demanda Roland, surpris par le rapport.  

Sophia inclina la tête :

– « Pas seulement une. En faisant une expérience, Lily s’est aperçue tout à fait par hasard que des “mères” assimilées pénétraient dans son corps et y restaient. Elle pensait qu’elles disparaitraient lorsqu’elle convoquerait d’autres populations “parents” mais en fait… elles peuvent sortir de son corps sur simple appel de sa part et continuer à assimiler d’autres créatures microscopiques. »

Très vite, Roland comprit ce que cela signifiait. Depuis sa seconde évolution, la jeune fille avait appris à faire des “parents” qu’elle avait vus des créatures microscopiques spécifiques. Désormais, sa nouvelle compétence dérivée lui simplifiait les choses dans la mesure où il ne lui était plus nécessaire de “voir” les “parents”. Il lui suffisait de “s’en souvenir”. En d’autres termes, elle pouvait collecter des “mères” précédemment converties et libérer des vers microscopiques en cas de besoin, sa nouvelle capacité ayant grandement accéléré le processus d’assimilation.

De toute évidence, suite à l’amélioration de la précision des microscopes et à l’augmentation du nombre de parents transportés, Lily pourrait devenir une véritable “bombe biochimique” ambulante.

Amusé à l’idée qu’une inoffensive sorcière auxiliaire, suite à la formation continue donnée à la Cité Sans Hiver, puisse devenir une sorcière de combat dotée d’une arme potentiellement mortelle, Roland se dit qu’il avait bien de la chance qu’elle soit membre de l’Association.

Il se demanda alors si les Diables étaient susceptibles de tomber malades ou d’être infectés par un germe quelconque.