– « Pour le moment, notre plan pour prendre la Région de l’Extrême Sud se déroule sans heurts. Le clan de la Cravache de Fer est tombé et Echo m’a chargé de vous transmettre sa gratitude. »

– « Il faut un peu de temps pour préparer un Duel Sacré. Je m’attends à ce que les clans d’Ironsand City se rendent d’ici une semaine sur les Terres de Feu. »  

– « Entre temps, j’ai engagé des hommes pour repérer l’emplacement de la rivière souterraine Styx. Je pense que nous n’allons pas tarder à trouver une Rivière aux Eaux Noires relativement proche de la côte. 

Par ailleurs, Votre Majesté, comment comptez-vous traiter la Dame Divine du clan ? »

– « Avec le plus grand respect, Hache-De-Fer. »  

Le Sceau d’Écoute clignota légèrement, émettant une lueur rouge.

– « Votre Majesté, voici le message que nous avons reçu de la Région de l’Extrême Sud », dit la Comtesse Sephora.

Rossignol apporta alors un autre Sceau à Roland et le plaça près de ses jambes fines sur la table où elle était assise. L’avait-elle fait exprès ? Il aurait été incapable d’en jurer. On n’était plus en été, pourtant elle portait toujours ces pantalons moulants qui mettaient en valeur sa silhouette parfaite et pour pouvoir parler dans le Sceau, Roland devait approcher ses jambes, ce qui était pour lui un véritable dilemme.

Fallait-il regarder ses jambes ou faire semblant de ne pas les voir ?

Il s’éclaircit la voix :

– « Bien joué. Je veux dire, pour Hache-de-Fer. »

– « Vous allez bien, Votre Majesté ? » S’enquit la Comtesse. « Vous me semblez enroué. Je vous en prie, restez bien au chaud cet hiver. Vous n’êtes pas aussi résistant que les sorcières. »

– « Je vais bien », répondit Roland en se raclant la gorge. « Dites à Hache-de-Fer de poursuivre le plan s’il sent que les résultats sont proches de ce que nous espérions. Pour ce qui est de la Dame Divine, il peut tenter de la persuader de migrer vers la Cité Sans Hiver. Toutefois, si elle ne souhaite pas quitter la Région de l’Extrême Sud, inutile de lui mettre la pression. »

– « Est-ce tout ? »

– « Oui. S’il y a autre chose, je vous le ferai savoir. »

« Très bien. Dans ce cas, je vais prendre congé, Votre Majesté. »

Sur ce, la lumière rouge s’éteignit.

Roland releva la tête et soupira doucement. Sans savoir pourquoi, il avait le sentiment d’être déstabilisé.

Avec un sourire, Rossignol écarta le Sceau, se laissa glisser de la table et retourna s’asseoir dans sa chaise longue afin de reprendre la lecture de son livre d’images intitulé « Histoires de Sorcières » tout en mâchant du poisson séché.  

Avec une grimace, Roland reporta son attention sur le véritable travail en cours. Tous les Sceaux d’écoute étant mis à contribution pour l’Opération Désert, la Comtesse Sephora Passi transférait les messages afin de leur permettre d’établir un contact immédiat entre la Cité Sans Hiver et les troupes d’avant-garde. Même si ce n’était pas très pratique, c’était bien plus rapide que d’utiliser la manière traditionnelle qui leur aurait pris une dizaine de jours ou un pigeon voyageur qui aurait mis le même temps.  

Il avait ainsi le sentiment de pouvoir se faire une idée de la situation sans avoir à quitter ses terres.  

Malheureusement, pour que ces Sceaux fonctionnent, il fallait une sorcière pour fournir le pouvoir magique, ce qui signifiait que pour tenir une conversation, il fallait aux moins deux Sceaux et deux sorcières. Jamais ces pierres ne pourraient remplacer les outils de communication qu’utilisaient les gens ordinaires.

L’installation de la première ligne téléphonique de la Région de L’Ouest, reliant directement le château à l’Hôtel de Ville de Longsong, était en cours. Deux autres lignes étaient également prévues, qui relieraient, comme on pouvait s’y attendre, les Hôtels de Ville des deux districts afin de pouvoir passer les ordres en un seul appel.

Il fallait beaucoup de temps pour ériger des poteaux électriques, et de plus, ceux-ci étaient vulnérables à la neige et au gel. Roland avait décidé de jouer la carte pratique en enterrant le câble sous le sol le long des montagnes avec l’aide de Lotus.

Lorsque les défenses seraient installées sur les montagnes, il ne pourrait pas faire autrement que d’augmenter le nombre de lignes reliées à son bureau mais d’ici là, il aurait au moins dix téléphones à commande manuelle à sa disposition.  

Par ailleurs, le relogement des antiques sorcières de Taquila préoccupait beaucoup Roland.

Maggie et Foudre, qui assumaient le rôle de patrouilleurs, avaient étendu leur champ d’investigation à une cinquantaine de kilomètres au nord des montagnes afin de pouvoir leur signaler au plus vite une éventuelle attaque massive de bêtes démoniaques.

La relique des Divinités, dont dépendait peut-être la survie des sorcières de Taquila, devait être manipulée avec précaution.  

Au cours des deux dernières semaines, il avait eu plusieurs conversations avec Pasha et ils avaient eu une idée très simple : le ver creuserait d’abord un passage dans la montagne jusqu’à la Région de l’Ouest, puis, lorsqu’ils auraient trouvé un endroit où la roche était solide et où il y avait le moins de bifurcations, ils y construiraient un palais. De cette façon, les sorcières pourraient y transporter progressivement leurs réceptacles, leurs biens et les enveloppes issues de l’Armée du Châtiment Divin avant d’y emporter l’Instrument de la Rétribution Divine et les reliques des dieux.

Pour autant qu’il sache, Fran, que Roland appelait le ver dévorant, était la plus expérimentée en matière de déménagement.

Surpris, il la vit onduler de son corps potelé et venir se faufiler devant l’instrument fantôme pour lui exprimer sa gratitude.

Plus tard, il apprit de Pasha que les sorcières intégrées dans les réceptacles ne pourraient plus intégrer les corps des Guerriers du Châtiment Divin car leurs perceptions et leurs consciences s’étaient consolidées dans les nouveaux corps. Certes, elles n’avaient pas besoin de s’entraîner longtemps avant de pouvoir faire usage de leur corps, mais si ceux-ci venaient à être endommagés, elles n’auraient plus d’autre véhicule corporel.

En effet, sans ce lien, comment les sorcières seraient-elles en mesure de contrôler ce corps, même après avoir passé toute leur vie à s’entraîner ?  Comment une personne habituée à utiliser ses doigts et ses membres pourrait-elle apprendre à manipuler d’innombrables tentacules ou ramper comme un ver ? Et à l’inverse, lorsqu’elles s’étaient enfin adaptées à leurs réceptacles, il y avait peu de chances qu’elles réapprennent à vivre normalement.

Lorsqu’elles n’avaient pas besoin de Fran, les sorcières devaient replacer son âme dans le conteneur et la mettre en sommeil, dans la mesure où ce ver dévorant, pour rester en vie, avait besoin d’une grande quantité de nourriture.  Tout bien considéré, la vie n’était pas une vie idéale pour Fran qui, s’étant sacrifiée pour la survie des sorcières de Taquila, avait payé un prix encore plus fort que Pasha ou encore Althéa qui, les premières, avaient eu recours aux enveloppes originales.  

Ces dernières avaient au moins la chance de pouvoir observer le monde et ses changements.  

On pouvait imaginer jusqu’où allait sa gratitude envers Roland. D’autant plus que celui-ci affirmait avoir du travail pour elle. Il allait donc lui offrir suffisamment de nourriture pour conserver son énergie. Fort heureusement, sous sa forme de ver, elle était omnivore : les céréales lui conviendraient aussi bien que la viande.

– « Je voudrais bien un porridge à la viande bien chaud et assaisonné, ainsi qu’un veau entier rôti avec sa peau. Il faut bien que je grossisse! » Dit Fran en salivant.

Même si ce ver était plutôt répugnant, il était en mesure, tout comme les sorcières occupant des corps globuleux, de ressentir de manière particulière son environnement extérieur, ceci incluent le sens du goût, la douleur et la température.

Partagé entre les rires et les larmes, Roland accepta son témoignage de gratitude. De toute évidence, quel que soit le monde où il vivait, l’industrie de ma construction serait toujours à ses yeux un énorme monstre dévoreur d’or.

À l’occasion, il avait demandé à Pasha ce dont avaient besoin les réceptacles originaux et central pour survivre, ce à quoi elle avait répondu qu’ils avaient seulement besoin de boues et de températures élevées, c’est pourquoi ils vivaient constamment dans le magma.

Réponse qui l’avait légèrement soulagé : il n’aurait pas à assumer la responsabilité de fournir de la nourriture à celles qui étaient presque immortelles. Vraisemblablement, les corps globuleux, comparés aux vers dévoreurs, ressemblaient davantage aux plantes à en croire leur façon de recueillir de l’énergie.

Tandis qu’il réfléchissait au moyen d’organiser la défense en montagne de telle sorte que les installations militaires souterraines soient efficacement reliées aux routes existantes, voire même au palais des sorcières antiques, il entendit tout à coup une explosion au dehors.  

Surpris, Roland se tourna vers la baie vitrée et aperçut une fumée noire mêlée de flammes qui s’élevait au loin dans la ville du côté où se trouvait l’école.

– « Rossignol! » Appela-t-il.

– « Je vais envoyer Sylvie et Phyllis voir ce qui se passe. Je vous en prie, ne quittez pas votre bureau, je reviens immédiatement! »

Sur ce, la sorcière disparut dans sa brume.