Telle une luciole dans la nuit, l’explosion émit une lueur clignotante.  

Van’er leva son télescope et regarda en direction de l’oasis.

Les torches, dont les flammes devenaient de plus en plus intense à mesure qu’ils se rapprochaient d’Ironsand City, étaient le meilleur moyen de repérer leurs cibles. En effet, des milliers de flammes étincelantes illuminaient le camp du Peuple des Sables, principal objectif du bataillon d’artillerie.

Un moment plus tard, un gros bruit d’explosion retentit des profondeurs de l’oasis.

– « Les lieux d’atterrissage ne me semblent guère précis » murmura Griffe-de-Chat.

– « Nous ne pouvons pas mieux faire » répondit Jop en chargeant un obus dans le canon. « Vous savez, il est plutôt difficile d’installer un canon sur du sable, aussi les premiers tirs ne sont-ils que des essais. »

– « Quoi qu’il en soit, essayez de tirer plus loin. Si jamais l’obus tombe sur la tête de Son Excellence Hache-De-Fer, c’en sera fait de nous. »  

– « Rassurez-vous. La taverne est loin du camp. Si, par erreur, nous la frappions, cela voudrait dire qu’il faut réécrire tous les manuels de tir », répondit Rodney.  

Sur ce, il tendit la corde et annonça : « Prêts! »  

– « Feu! » Cria Van’er.

À nouveau, les rugissements assourdissants des deux Canons de Forteresse retentirent. Les flammes qui s’échappaient des museaux éclairèrent brièvement le sol et soulevèrent tant de poussière que, frappés au visage, ils furent contraints de fermer les yeux.  

La petite oasis n’était pas vraiment une ville, ce n’était qu’une forteresse créée par les clans extérieurs à Ironsand City. Il n’y avait pas de maisons de brique ou de pierre, uniquement des tentes de toile et de cuir, à l’exception de petits bâtiments et des tours de guet.

Contre toute attente, les Canons de Forteresse avaient fait d’assez bons dégâts.  

Van’er s’aperçut que là où l’obus atterrissait, le secteur s’assombrissait une seconde avant de s’éclairer à nouveau. L’explosion ayant renversé tentes et torches, l’huile mélangée à d’autres matériaux de construction inflammables faisait que les flammes étaient plus éblouissantes encore.  

C’était la première fois que le bataillon d’artillerie de la Première Armée était contraint d’avoir recours à la méthode de mesure des distances et de positionnement des canons en fonction du tableau de tir. Le résultat n’était pas idéal, cependant, la vulnérabilité des cibles inflammables compensait cette faille. Au bout de plusieurs tirs, le camp du Peuple des Sables n’était plus qu’un grand feu et le fort vent du soir propageant les flammes, l’oasis tout entière n’allait pas tarder à s’enflammer. Même si Van’er n’avait pas expérimenté personnellement le pouvoir de l’artillerie, il imaginait sans peine dans quelle situation délicate pouvaient se trouver ces fameux Chiens de Garde.

Imparable, écrasant, c’était bien là le Seigneur de la Guerre tant vanté par Sa Majesté.

Loué soit le canon!

Loué soit le canon de gros calibre!

Il jeta un regard fier sur le bataillon de fusiliers, en pleine embuscade, sur les deux escadrons de mitrailleurs et, tout heureux, se dit qu’il avait fait le bon choix.

Les canons étaient l’avenir de la guerre.

Les silex, quant à eux, serviraient uniquement à les soutenir ou à nettoyer le champ de bataille, rien de plus.

Il a fallu un certain temps à Thuram pour se remette des explosions. Ses oreilles bourdonnaient, comme s’il avait été giflé au visage.

Était-ce là le tonnerre évoqué par Hache-De-Fer ?

Avec grondement et sifflement aigu, il vit une tour de guet non loin de la taverne se faire engloutir par une boule de feu. En quelques secondes, elle tomba en morceaux. Ce rugissement était si puissant que durant un instant, il perdit l’audition.

À travers les trous du mur, il vit des tentes enflammées par brasier qui se mirent à l’alimenter. Des gens sortaient du feu en hurlant, se roulaient sur le sol pour tenter d’étouffer les flammes. Malheureusement, peu y parvenaient.

Quelques hommes des Sables qui se trouvaient près de la tour de guet tombèrent, inconscient. Ils n’avaient aucune blessure mortelle apparente mais ne se relèveraient jamais.

« Bon sang! » Pensa Thuram. « Ce n’est pas le tonnerre mais bien le feu du ciel qui s’abat sur l’humanité! Ce terrible pouvoir ne peut venir que du Père Céleste! »

Lui qui pensait que cette violente attaque ne durerait pas longtemps réalisa très vite son erreur.

Toutes les deux minutes, un coup de tonnerre retentissait, suivi d’explosions et de boules de feu. Thuram s’aperçut que celles-ci, qui, au départ, étaient dispersées, se concentraient à présent au centre de l’oasis, précisément là où vivaient les Chiens de Garde qui, à la différence des vassaux, occupaient les terres les plus fertiles.  

Mais pour le moment, c’était l’enfer!

Le feu faisait rage : on aurait dit que le ciel était en flammes!

Lorsqu’il regarda Hache-De-Fer, son regard était différent.

– « Par le nom des Trois Dieux… Vous ne pouvez avoir une telle puissance! » Dit Thuram d’une voix rauque et tremblotante. « Qui donc servez-vous ? Les habitants du Nord ? »

– « Je suis au service d’un Roi miséricordieux venu apporter l’ordre et la sécurité au peuple Mojin », répondit le Commandant de la Première Armée.

– « C’est imposs… »

Il allait dire “impossible”, mais la dernière syllabe resta bloquée dans sa gorge lorsqu’il vit la mer de feu se propager à travers l’oasis.

– « Malheureusement », reprit Hache-De-Fer tout le monde n’est pas disposé à accepter un tel système. Si l’oasis nourrit le Peuple des Sables, elle emprisonne ses pensées. Le meurtre et l’encadrement sont nés de la nécessité de survivre. Quelle ironie! Une oasis supposée soutenir la vie trempée de sang!  Quant aux Chiens de Garde, les grands clans les maintiennent au pouvoir et font souffrir nos hommes dans le sable et la sécheresse. Je trouve que cette façon d’agir est stupide et reflète un véritable manque de perspicacité. »

– « Venant des habitants du Nord, je n’aurais pas été surpris par ce discours mais venant de vous… » Thuram secoua sa tête douloureuse : « Vous êtes un métis né dans le désert! Comment pouvez-vous être aussi naïf ?  Auriez-vous oublié que l’oasis étant limitée, si nous ne nous battons pas pour les territoires, jamais nous ne pourrons faire face à la croissance de la population! À moins de surpasser Graycastle en puissance, jamais les Mojins ne pourront quitter le désert.  Étant donné que les habitants du Nord ne nous feront jamais vraiment confiance, coopérer ou nous soumettre ne nous mènerait qu’à la mort. La chute des clans de l’Os Noir et de la Pierre de Sable* en est la preuve! »

« Dans l’espoir d’obtenir un riche territoire, ces deux clans, qui auraient pu vivre à Ironsand City, ont préféré offrir leurs services à Garcia, la Reine des Eaux Claires. Qu’ont-ils obtenu en échange ? Il paraît que tous ont été contraints de prendre une étrange pilule qui les a fait pourrir. La promesse de la Reine avait perdu tout son sens. »  

– « Parviendrons nous jamais à gagner une véritable confiance ? » Soupira Hache-De-Fer. « C’est ce que je pensais jusqu’ici mais j’ai eu devant les yeux la preuve qu’il existe des gens nés pour changer les choses. »

C’est alors que Thuram entendit dehors un bruit de galop qui allait s’intensifiant et sut que l’équipe de Chiens de Gardes chargée de contre-attaquer était en train de se rassembler.  

Ils avaient peut-être renoncé à se battre mais n’en avaient pas perdu pour autant leurs compétences ni leur sens de l’équitation. Si jamais des ennemis approchaient de l’oasis, ils se précipitaient sur eux comme des vers de sable assoiffés de sang.

Il était sur le point de dire quelques mots à Hache-De-Fer lorsque soudain, il fut pris par le col et tiré vers la fenêtre.

Non loin de là, il aperçut des torches allumées qui quittaient l’oasis pour se diriger vers le désert. De toute évidence, ces Chiens de Garde avaient senti l’odeur des assaillants.  

De leur côté, Hache-De-Fer et la Dame Divine aux longs cheveux noirs ne semblaient pas se soucier le moins du monde de cette troupe de cavaliers.

– « Que vous disais-je tout à l’heure ? Tous n’acceptent pas le nouvel ordre des choses. Ces Chiens de Garde s’imaginent pouvoir arrêter le Tonnerre », lui murmura à l’oreille le métis, comme s’il lui annonçait sa destinée. « Que vous le vouliez ou non, ce nouvel ordre est en marche. »  

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NDT : Le véritable terme désigne le Grès. J’ai volontairement choisi de garder Pierre de Sable car je trouvais l’expression plus poétique ?