Phyllis resta debout presque toute la nuit, qui passa rapidement.

Enfermée dans sa chambre, elle attendait silencieusement le résultat. Calme en apparence, elle ne pouvait s’empêcher d’émettre des hypothèses au sujet de la disparition de l’Élue, soupçonnant même Roland de détenir secrètement la sorcière pour s’amuser d’elle et d’avoir caché la vérité à l’Association.   

Lorsque le lendemain matin Wendy et Ayesha arrivèrent à la résidence, Phyllis semblait fatiguée, ce qui chez elle était rare. Le fait de trop utiliser son mental était épuisant pour l’âme et par ailleurs, elle était consciente de moins bien contrôler son corps, ses mains et ses pieds ayant perdu leur flexibilité habituelle.

Cependant, elle n’aurait jamais pu s’endormir sans avoir la réponse.  

Si, en débranchant sa conscience, elle pouvait temporairement se débarrasser des entraves du corps, son âme, elle, demeurait éveillée. À moins de pouvoir transférer son âme dans le réceptacle magique, se cacher dans la conscience était simplement une manière de se voiler la face.  Phyllis en venait même à regretter le “long sommeil”.

– « Je vous annonce que…nous avons trouvé le rayon lumineux dont vous parliez. »

La sorcière, qui ne s’attendait pas à ce que les premiers mots d’Ayesha viennent écraser le fardeau qui pesait sur son cœur, cligna des yeux et, de crainte d’avoir mal compris, murmura :

– « Une sorte de mur de lumière ? »

– « Exactement! un mur de lumière. Il vient effectivement du château », répondit Wendy. « Mais nous ne pouvons pas être certaines qu’il soit l’Élu dont vous avez parlé. »  

Elle ne s’était donc pas trompée.

Elles avaient enfin trouvé à qui appartenait la lumière orange!

« Non… il est impossible que ce soit une erreur », pensa Phyllis qui entendait une voix dans son cœur acclamer : “Louées soient les divinités! Louée soit la Ville Sainte de Taquila!”

– « Une personne capable d’émettre un tel faisceau de lumière ne peut être que l’Élue! S’agit-il d’une Sorcière Senior ?  Quel est son nom ? »  

Pour toute réponse, Wendy lui lança un regard étrange. On aurait dit qu’elle se retenait de rire et, en même temps, était désolée pour elle.

– « Eh bien… je crains fort que vous ne soyez déçue », dit-elle en se couvrant la bouche et en toussotant.

– « Y’aurait-il un souci avec la Pierre Magique ? » Demanda Ayesha en lui rendant l’anneau. « À mon avis, vous devriez prendre contact au plus vite avec Pasha. »   

« Un souci ? Mais enfin, que s’est-il passé? Oh! Mais… »

Phyllis eut soudain l’impression d’être frappée par la foudre : « Ais-je bien entendu ? Wendy a bien dit « il » ?

La sorcière en eut le souffle coupé.

– « La lumière orange viendrait-elle… »

– « De Sa Majesté, en effet », répondit Ayesha en haussant les épaules. « Et je n’étais pas seule, Rossignol, Anna, Wendy et toutes les sorcières logeant au second étage du château l’ont constaté. Pour en être certaine, je l’ai testé avec la Pierre de Mesure, mais comme je m’y attendais, il n’émanait de lui aucun pouvoir magique. »  

– « L’arme susceptible de vaincre les Diables dont vous avez parlé… faut-il nécessairement qu’elle soit activée par une sorcière ? » Demanda Wendy qui, cette fois, ne put se retenir de rire : « J’aimerais beaucoup que Sa Majesté devienne le héros qui triomphera des Diables. »

Le cœur de Phyllis fit un bond.

– « Même si l’Instrument de la Rétribution Divine ne nécessite guère de pouvoir magique de la part de l’Élu, cela ne signifie pas qu’il puisse être activé sans. N’oublions pas qu’il s’agit d’un noyau magique et de la quantité de pouvoir de la personne qui le manipule dépend le nombre de fois que nous pourrons l’utiliser. »  

– « C’est impossible… Peut-être, en effet, que quelque chose ne fonctionne pas normalement. »

– « Pourtant, je suis bien certaine d’avoir vu cette lumière orange au-dessus de sa tête… »

– « C’est étrange en effet, d’autant plus que le faisceau a disparu dès son réveil », souligna Ayesha en se caressant le menton. « Cela explique pourquoi vous ne pouviez le voir que la nuit. Bien entendu, nous avons interrogé Sa Majesté à ce sujet : il nous a répondu que depuis la Bataille des Âmes contre Cléo, il avait accès dans ses rêves à une dimension fictive, une sorte d’extension de sa mémoire. »    

– « Cléo ? La Bataille des Âmes ?  De quoi s’agit-il ? » Demanda précipitamment Phyllis.

– « C’était le dernier Pape de l’Église d’Hermès », répondit Wendy qui lui raconta en quelques mots la bataille durant laquelle Roland avait vaincu l’Église. « Il est possible que ce soit cela qui a trompé la Pierre Magique. Sa Majesté elle-même en est restée stupéfaite. Si vous souhaitez vérifier, vous pourrez le faire ce midi. »  

Après un long silence, elle serra les dents et répondit :

– « Oui, je voudrais revoir cela. »

Ayesha et Wendy n’avaient pas menti. Sous la supervision des sorcières et des gardes, Phyllis revit le faisceau de lumière orange aussi large qu’un mur d’enceinte, provenant du Roi de Graycastle qui était endormi.  

Elle sentit soudain toute son énergie la quitter tandis qu’un puissant vertige s’emparait d’elle. La sorcière se mit à trembler et s’effondra sur le sol, appuyée contre la porte. Elle était mentalement épuisée. En un instant, elle se sentit engloutie par une obscurité sans fin.  

Lorsque Phyllis reprit conscience, elle était allongée sur son lit. Au dehors, il faisait nuit, une nuit sans étoiles, sans lune. Le vent du nord frappait les vitres de manière rythmée et faisait, par intermittence, trembler le cadre de la fenêtre.

Soudain, une voix familière lui parvint :

– « Vous êtes réveillée ? »

Tournant la tête, elle aperçut Ayesha, assise à son chevet.

– « Combien de temps suis-je restée inconsciente ? »

– « Environ une demi-journée », répondit la Sorcière des Glaces. Elle tendit la main pour écarter les mèches qui tombaient sur son front : « Votre réaction a vraiment choqué Rossignol. »

– « Je suis désolé. Je vais bien à présent… » murmura Phyllis.

Même si elle tentait de s’en convaincre, la survivante de Taquila n’allait vraiment pas mieux. Elle avait enfin trouvé le fameux Élu, qui n’était en fait qu’une personne ordinaire, et se sentait aussi bouleversée que lors de la chute de Natalya et d’Alice.   

Les convictions de Dame Natalya, la persistance des survivantes de Taquila… le projet concernant l’Élue…. Tout ce pourquoi elles s’étaient préparées depuis des années se terminait de façon dramatique. Certes, il y avait sur l’Île Dormante des centaines de sorcières et Chloris correspondait presque au profil requis, cependant, quelque chose lui disait que c’était peine perdue. 

Finalement, peut-être leur décision ne valait guère mieux que celle des sorcières de la Cité des Météores….

– « Je ne comprends pas très bien ce que représente l’Élue à vos yeux, cependant… nous n’avons pas eu besoin de cette sorcière pour combattre les Diables durant des centaines d’années, n’est-ce pas ? Je pensais que des sorcières ayant survécu à pareilles catastrophes seraient en mesure de faire face à toute situation », dit doucement Ayesha.  

– « Mais nous avons échoué deux fois et avons été contraintes de fuir le Pays de l’Aurore pour nous retirer dans ce coin de terre sauvage. Si jamais nous perdons à nouveau… »

– « Dans ce cas, éradiquons les Diables », coupa Ayesha. « J’ignore ce que vous avez trouvé dans le labyrinthe et pourquoi vous y avez placé tous vos espoirs, mais je pense que si c’était aussi efficace que vous le croyez, vous ne l’auriez pas retrouvé dans des ruines. Depuis quatre cents ans, les personnes ordinaires n’ont cessé de progresser. Il y a plus d’une manière de venir à bout de Diables. Comme le dit Roland, si les gens du commun savent utiliser intelligemment les forces cachées de l’univers, ils seront eux aussi en mesure de les vaincre. »

Phyllis la regardait, confuse. Elle était sur le point de lui faire part de ses doutes mais en voyant l’air confiant d’Ayesha, elle ne put s’y résoudre.

« Au fait, il a précisé qu’aux yeux des divinités, il existait plus d’une clé et que lui aussi en avait une. Avant de contacter les sorcières de Taquila, vous devriez y regarder de plus près. »

– « Une clé ? Lui ? » S’exclama Phyllis, stupéfaite.  

– « Oui, la clé de l’Art », répondit Ayesha.