La relique était un morceau de cristal transparent rouge carmin. Tout comme le noyau magique dans les ruines du labyrinthe, c’était également un dispositif en forme de fuseau, mais en beaucoup plus petit. Sa taille n’excédait pas celle d’un homme.  

Cependant, lorsqu’Elena entra dans la chambre, l’objet lui parut différent. Sa surface sphérique lisse était devenue en un angle droit bien net. Vue d’en haut, la relique ressemblait être un quart de sphère.

Elle flottait dans les airs, tout comme le noyau magique, preuve de son aspect extraordinaire.

– « Est-ce là l’objet dont va dépendre le sort de l’humanité ? » Pensa Elena.

Soudain remplie de doutes, elle en voulait un peu aux divinités.

Selon Pasha, nul ne savait comment il était arrivé dans ce monde, mais depuis son apparition, il était lié au destin des êtres humains. Si l’humanité venait à l’égarer, tous les hommes, les mortels comme les sorcières, périraient aussitôt. Afin de protéger la relique, d’innombrables personnes avaient laissé leur vie dans un combat sanglant contre les Diables. Quant aux divinités, pourtant témoins de la souffrance des hommes, jamais elles n’étaient intervenues pour les conseiller, se contentant d’assister aux évènements en silence dans l’attente de voir qui en sortirait gagnant.

Elena était dégoûtée de ce jeu.

– « Êtes-vous prête ? » Demanda Zoé « Rappelez-vous ce que Pasha nous a dit : Il faut garder le contrôle de notre esprit. Ne tentez jamais d’entrer en contact avec les divinités lorsque vous déplacez la relique. »

Elena acquiesça :

– « Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas oublié. Je vais compter jusqu’à trois et nous la déplacerons ensemble. »

– « Entendu », fit Zoé.

– « Un… deux… trois! »

Elles soulevèrent la relique et prirent le chemin de la sortie. Bien qu’elle puisse flotter dans les airs, elle était loin d’être aussi légère qu’une plume. Malgré son puissant corps de Guerrier du Châtiment Divin, Elena la sentait peser lourdement sur son bras, ce qui l’épuisait.

Si Pasha ne lui avait pas dit la vérité au sujet de cette sensation, elle aurait pu croire que ses sens, oubliés depuis des centaines d’années, refaisaient surface.  

Ce “sentiment de fatigue” était simplement mental.

La relique tentait d’entrer en contact avec elles.

Elena secoua la tête, s’efforçant de bannir ces pensées. Soudain, elle se souvint qu’elle ne devait surtout pas vider son esprit : il fallait absolument qu’elle pense à quelque chose durant le processus.  

« À quoi pourrais-je penser ? À un homme… Un bon petit plat ?… Un lit moelleux ? »

Soudain, une voix intérieure lui dit :

« Ce dont vous avez besoin, c’est d’éprouver des émotions, de ressentir le bien être, le bonheur, la douleur, le froid, le chaud… Je peux vous les donner. Détendez-vous et regardez-moi… »  

« Regarder quoi ? Non, non! » Stupéfaite, Elena écarquilla les yeux : « Qui parle ? Est-ce la relique ? »

Elle se retourna et s’aperçut que Zoé avait les yeux vides. Elle ressemblait à une coquille sans âme.

« Bon sang, que se passe-t-il ? Pasha ne nous a jamais parlé de ce genre de chose! » pensa-t-elle, soudain angoissées.

« Ne vous inquiétez pas, elle suit ce que son cœur lui dicte et fusionne avec moi. »  Reprit la voix.

– « Laissez-la sortir! »

« Je ne peux pas. Si vous voulez la délivrer, vous devez entrer… »

De rauque et tonitruante, la voix dans sa tête se faisait douce, comme une voix de femme. Durant un instant, elle se demanda si vraiment elle communiquait avec la relique où si elles se parlait à elle-même.

– « Entrer ? »  

C’est alors que l’avertissement de Pasha lui revint à l’esprit :

« N’essayez jamais d’entrer en contact avec les divinités. »

Cependant, elle ne pouvait rester là à regarder Zoé perdre la tête. Si elle venait à perdre son âme, elle ne tarderait pas à mourir.  Aussi décida-t-elle de sauver sa compagne en priorité.

« Il me suffit de regarder la relique ? » Se demanda-t-elle.  

Prenant une profonde inspiration, elle fixa le cristal couleur carmin.  

Soudain, il se déforma et l’obscurité l’envahit. Lorsqu’à nouveau elle put voir, ce fut pour réaliser qu’elle se trouvait dans un monde totalement différent.

C’était une salle incroyablement haute et spacieuse, dotée d’un dôme au travers duquel elle pouvait contempler le ciel étoilé et… la Lune Sanglante. À la surface de celle-ci se déversait le pouvoir magique, tel de la lave en ébullition.  

C’est alors que quatre tableaux géants apparurent silencieusement autour d’elle.

Devant ce spectacle, une crainte indicible l’envahit. Si Pasha avait déjà évoqué ce monde, c’était la première fois qu’elle était témoin de quelque chose d’aussi ahurissant.

– « Zoé! Où êtes-vous ? » S’écria-t-elle.

Mais personne ne répondit.

Il n’y avait plus dans la salle que les tableaux.

S’efforçant de retrouver son calme, elle se mit à les observer mais à peine avait-elle posé les yeux dessus qu’elle sentit une sueur froide l’envahir : du tableau, quelqu’un la regardait aussi.

Dans le premier, elle vit un Diable revêtu d’une armure magnifique et dont les yeux lançaient une effrayante lumière rouge.

Le second représentait un œil géant dans lequel de nombreuses pupilles formaient un triangle. Celles-ci s’ouvrirent toutes en même temps comme autant de bouches immenses prêt à dévorer les gens.  

Elena ne put s’empêcher de reculer, cependant, elle se répétait mentalement :

« Pas de panique, ce ne sont que des images en mouvement. »

Mais quelques instants plus tard, elle perdit son sang-froid.

Sept tentacules noirs dotés de petites mains à leur extrémité sortirent des tableaux pour tenter de l’agripper.

Trop effrayé pour réagir, elle se laissa prendre.

Chaque groupe de tentacules s’efforçait de l’attirer dans le tableau d’où il était issu. Ils se l’arrachaient comme si elle était un précieux trophée. Ecartelée entre les deux toiles, elle eut l’impression d’être déchirée et poussa un cri sous l’effet de la douleur insoutenable.  

« Comment ?… Je ressentirais la douleur ? »

Au même moment, stupéfaite, elle constata qu’elle avait repris son apparence de sorcière.

« Ainsi, la dernière chose que j’aurai ressentie avant de mourir aura été la douleur d’être écartelée », pensa-t-elle. « Au moins, je ne serai pas morte prisonnière du corps d’un Guerrier du Châtiment Divin, privée d’âme. »  

Au fur et à mesure que la douleur augmentait, elle sentait sa conscience lui échapper.

Avant de perdre connaissance, elle eut le temps d’apercevoir dans un autre tableau quelque chose d’étrange : le corps du guerrier qu’elle habitait jusqu’ici reposait sur le sol, les membres animés de sursauts et Zoé, le tenant par les jambes, le traînait vers la trappe.

« Que se passe-t-il ? » Se demanda-t-elle. « Cette idiote n’a donc pas fusionné avec la relique ? »

C’est alors que la salle s’effondra : la Lune Sanglante, les tableaux, les tentacules, la douleur : tout avait disparu. Elle cligna des yeux : elle était à nouveau dans la bibliothèque.

– « Aurais-je rêvé ? » Murmura-t-elle.

Zoé grinça des dents :

– « Quel rêve ? Vous m’avez vraiment déçue. Avant que nous ne déplacions la relique, je vous avais pourtant bien rappelé les conseils de Pasha : Surtout, n’essayez jamais d’entrer en contact avec les divinités! »

– « Mais …Je vous ai vue! …Vous aviez perdu l’esprit! »

– « Et moi, je vous ai vue vous faire absorber par la relique », coupa Zoé, impatientée. « Ce n’était qu’une illusion créée par les divinités! Si je ne vous en avais pas sortie, vous seriez restée prisonnière à jamais! »

Elena se remémora les puissants tentacules, le Diable, l’œil géant… Elle avait peine à croire qu’il ne s’agissait que d’illusions. Le doute persistait dans son esprit. Pasha n’ayant jamais vécu cette expérience avec la relique, le fait qu’elle ne lui ait pas parlé de ces illusions pouvait s’expliquer. Cependant, ce qu’elle venait de vivre lui soufflait que cela n’avait rien d’une illusion : les éléments présents dans la peinture l’avaient regardée au moment même où elle les observait.  

– « Pardon », intervint Betty, « je ne voudrais pas avoir l’air de m’immiscer, mais qu’allons-nous faire à présent ? »

Zoé regarda Elena :

– « Quelqu’un d’autre doit m’aider à sortir la relique. Etant donné qu’on a pénétré par effraction dans la Salle de Prière, nous devons au plus vite la placer dans le coffret de Pierre du Châtiment Divin, faute de quoi ces bêtes démoniaques nous poursuivront jusque dans les grottes souterraines. »