Roland avait gravi plus d’une douzaine d’étages en une fois. Il relâcha ses muscles et ressentit une douleur intense dans ses jambes.
Il n’y avait pas d’ascenseur dans ce vieux bâtiment. Aussi, même s’il ne s’agissait que d’un rêve, le jeune homme s’estimait heureux de ne pas habiter au dernier étage.
Cléo était sans doute à l’origine de tout ceci, mais pas seulement elle.
« Pourquoi tant d’efforts pour créer ce rêve étrange simplement pour que j’assiste à son échec ? Non seulement elle a perdu ses souvenirs en tant que Purifiée mais elle est réduite à l’état de fragile collégienne. »
De mauvaises pensées traversèrent l’esprit de Roland.
Dans l’état où elle se trouvait, Cléo ne pourrait jamais riposter, quoi qu’il puisse lui faire.
Était-ce une vengeance ?
En effet, Cléo avait fait quelque chose qui avait entraîné une refonte irréversible des souvenirs. Cependant, le résultat final était loin de ce à quoi elle s’attendait.
Si ce gigantesque immeuble tubulaire était un fidèle reflet des souvenirs de la sorcière, ce n’était jamais qu’un simple bâtiment.
Au loin, on apercevait une multitude de gratte-ciel et les rues étaient bondées de voitures et de piétons. De toute évidence, cela appartenait aux souvenirs de Roland, qui, lui, était issu du monde moderne.
Le fait que Cléo et ceux qu’elle avait engloutis apparaissaient dans ce rêve sous la forme de personnes modernes était la preuve que son plan avait échoué.
Cette hypothèse était beaucoup plus plausible.
« Et moi dans tout ça ? » Se demanda Roland tandis qu’il descendait lentement les escaliers.
Il n’avait pas sa place ici, ou du moins n’appartenait-il pas à cette résidence de perdants. Pour preuve le fait que sa mémoire était intacte. Il était conscient du fait qu’il s’agissait d’un rêve dont, à tout moment, il pouvait s’échapper.
Bien entendu, il allait devoir créer un outil de chute plus pratique, puis retourner au canapé et se cogner la tête. Roland ressentait encore une légère douleur, ce qui indiquait que ce rêve était terriblement proche de la réalité.
« Que puis-je faire pour faire avancer les choses ? »
Est-ce tout ou y a-t-il encore une face cachée? »
Roland retourna à l’appartement 0825 et l’examina à nouveau.
C’était un logement standard composé de trois pièces et d’une salle de séjour sans terrasse, Les trois chambres individuelles étant respectivement la chambre de Roland, celle de Cléo et une pièce réservée au rangement. Celle-ci contenait de gros objets comme, par exemple, une vieille bicyclette sans roues, une machine à coudre et une porte de fer rouillée qui ne seraient même pas rentables pour le recyclage.
Il se dirigea vers la chambre de Cléo. Sur la porte, un panneau disait : Interdiction d’entrer sans autorisation.
Mais Roland n’en avait que faire.
Sans hésiter, il poussa la porte. Une odeur légère mais agréable, parvint à ses narines.
La pièce était minuscule et soigneusement meublée. Toutes les couvertures avaient été pliées, le bureau était propre et le sol impeccable. Difficile de croire que c’était là la chambre d’une collégienne.
Roland fit le tour de la pièce. Un journal à la couverture illustrée posé sur le coin du bureau attira son attention.
« Cléo a-t-elle l’habitude de tenir un journal ?
Ce serait une excellente occasion d’en apprendre davantage sur son vécu. »
Le jeune homme ne se sentait pas coupable de jeter un coup d’œil sur le journal d’une petite fille, à plus forte raison dans un rêve.
Il prit le carnet rose et aperçut une serrure en plastique sur le côté du journal.
Ce n’était pas ça qui allait l’arrêter.
Cette serrure, qui n’était qu’un simple confort émotionnel destiné aux enfants, n’empêchait personne de jeter un coup d’œil au journal. Roland se procura deux cure-dents, les introduisit dans le trou de la serrure et les fit jouer d’avant en arrière. Au bout de quelques tâtonnements, le verrou de plastique s’ouvrit.
Roland regarda la première page. L’écriture semblait immature, mais les taches d’encre, comme les blancs, étaient rares. Apparemment, la petite fille était très appliquée lorsqu’elle écrivait dans son journal.
« 16 février : en raison de la relocalisation de l’école, j’ai été envoyée dans une ville inconnue. Le propriétaire de la maison où je vis s’appelle Roland. C’est un oncle un peu désordonné qui travaille dans un bar et dort le jour. La nuit, il quitte la maison et ne revient qu’à l’aube. Il traine toujours avec lui cette écœurante odeur d’alcool. » « Je ne voulais pas vivre ici mais ma famille a dit qu’il ne demandait qu’un loyer modique et fournissait les repas. Si je continue à me plaindre, ma famille m’enverra à la campagne. »
« Qu’est-ce que c’est que ces absurdités ? » Se demanda Roland, qui bouillonnait intérieurement. De toute sa vie, il n’avait fréquenté les bars qu’en de rares occasions. Comment aurait-il pu y travailler ? Non seulement ce rêve était absurde, mais il reliait souvent des choses sans rapport les unes avec les autres et comme justement c’était un rêve, personne ne s’en apercevait.
Roland se dit qu’il était inutile de se tourmenter à ce sujet.
« 27 février : Début des cours. Je crois bien qu’oncle Roland a perdu son travail.
Il a l’air très décadent. Hier, j’ai dû acheter un bol de nouilles pour le dîner.
« 2 mars : Depuis quelques temps, je dépense toute ma pension pour acheter des bols de nouilles. Ce n’est pas bien, car le magazine dit qu’à 12 ans, le corps est en pleine croissance. Il faut donc qu’il soit suffisamment nourri pour pouvoir se développer. Il faut que j’en parle à mon oncle. Si jamais il me bat, je le supporterai une fois de plus car je ne veux pas aller à la campagne. »
« 3 mars : Génial! Il a accepté ma suggestion! Tous les mois, il me donnera de l’argent pour que je puisse acheter de la nourriture fraîche, mais quand je ne serai pas à l’école, je devrai préparer les repas. En principe, il devrait me donner un salaire pour cela, peu qu’importe. Étant donné que je c’est toujours moi qui fais les corvées à la maison, j’ai l’habitude. »
« 8 juin : Voilà trois mois que je suis arrivé dans cette ville. Je me suis fait beaucoup d’amis et à l’école, c’est moi qui ai les meilleures notes… L’oncle Roland est toujours aussi débraillé et insouciant mais il n’est pas un méchant. Au moins, il ne me bat pas. Le seul problème est qu’il n’a pas encore retrouvé de travail. J’ai l’impression qu’il est sur le point de renoncer, ce qui n’est pas bon signe. L’Argent que sa famille lui envoie pour couvrir ses dépenses courantes ne suffira pas à nous faire vivre. Je dois absolument l’aider. »
« 22 juin : Eh bien!… C’est très difficile de gagner de l’argent. J’ai vendu des dessins tirés d’animes à des étudiants du cours de soutien, mais je n’ai gagné que 15 yuans, ce qui n’est même pas suffisant pour deux jours de nourriture. Serais-je trop imprudente lorsque je m’adresse à mon oncle ? C’est un adulte. J’ai l’impression d’avoir été impolie, mais je n’ai pas pu me contrôler. Serais-je dans ma phase rebelle ? »
« 25 juin : Mon Dieu! Que j’ai eu peur! Lorsque je suis rentrée, j’ai vu oncle Roland tomber d’une chaise. Heureusement qu’il y avait un canapé en dessous. Il a mis les chaises très haut! Aurait-il voulu se suicider ? S’il venait à se blesser, il aurait encore plus de mal à trouver un emploi! D’une façon ou d’une autre, je lui poserai la question demain. »
Roland laissa de côté les détails insignifiants et parcouru le journal en moins d’une demi-heure. Il comprenait à présent pourquoi Cléo vivait avec lui.
Particulièrement complexe, ce rêve constituait une histoire à tous ceux qui étaient liés à leur personnage moderne. Il n’avait pas pu accomplir cela rien qu’en utilisant son cerveau. Pas étonnant qu’il ait été dans le coma pendant les quelques semaines qui avaient suivi le combat des âmes.
En remettant le journal là où il l’avait pris, Roland remarqua quelque chose qui le laissa un instant étourdi.
Près du bureau se trouvait une pile de livres. Probablement les manuels scolaires de la petite fille.
Roland déglutit et tira la pile vers lui.
Le premier était un manuel de littérature et le second un ouvrage de sciences sociales. En apercevant le troisième, le jeune homme en eut le souffle coupé :
C’était un manuel de chimie de 8e année.
Son contenu, très simple, se résumait à quelques mots, le reste étant des images. Au premier coup d’œil, on aurait dit un livre de la collection : “I wonder why” mais lorsque Roland parvint à la dernière page, une longue page pliée tomba.
Roland la déplia et découvrit un tableau périodique complet des éléments.