Danny visa et tira sans interruption jusqu’à ce qu’il ait vidé son chargeur. Deux autres gros boucliers tombèrent.
Le soldat ne voulait pas gaspiller ses précieuse balles sur les Juges. Si, derrière leurs minces armures, ceux-ci pouvaient sembler puissants, ils n’étaient pas de taille face à un fusil à silex. Le Commandant Hache-de-Fer avait dit un jour que l’Armée du Châtiment Divin était un adversaire redoutable dans la mesure où un seul soldat pouvait affronter dix adversaires à la fois cependant, comme ils n’étaient pas nombreux et que, de surcroît, leur entraînement était plutôt difficile, ces guerriers représentaient des cibles idéales.
La raison pour laquelle il n’aimait pas les mitrailleurs était que même si ces hommes arrogants, utilisaient exactement les mêmes balles, l’efficacité de leurs tirs était étonnamment faible.
Au cours des deux seules séances d’entraînement à tir réel, une équipe de mitrailleurs avait vidé plusieurs boîtes de balles en une heure! Hache-de-Fer en avait le cœur serré. Ils avaient ensuite vérifié les résultats et constaté que seule une centaine de balles avaient atteint leur cible. Aux yeux de Danny, c’était un véritable gaspillage de ressources.
Bien entendu, il comprenait parfaitement l’importance de la mitrailleuse Mark I, dont le but était de stopper l’élan offensif de l’ennemi. Mais en termes de résultats de chasse, les tireurs d’élite étaient bien plus fiables.
Une balle, un ennemi. C’était dans cet objectif qu’il s’entraînait aussi strictement.
Danny sortit le chargeur et y inséra habilement les balles. Il était sur le point de se relever pour reprendre le tir lorsque soudain, le soldat entendit quelqu’un haleter. Il regarda par-dessus son épaule et aperçut Matt.
– « Bon sang, ne vous ai-je pas ordonné de rester où vous étiez ? » Cria-t-il. « Vous avez outrepassé un ordre militaire! »
– « Le Seigneur Brian a dit qu’un soldat ne devait jamais quitter son poste, sauf cas exceptionnel. C’est donc vous qui avez violé un ordre militaire », répondit Matt en épongeant son front couvert de sueur. « Étant votre protecteur, mon devoir est de rester à vos côtés. »
Danny réprimait son envie de le frapper. Il prit dans sa poche une poignée de balles et les jeta devant Matt.
– « Remplissez votre chargeur et, à moins d’une urgence, restez à bonne distance de moi! »
– « À vos ordres, Capitaine », répondit le petit homme tout en saluant.
Alors que Danny venait de tuer le cinquième ennemi, des changements s’opérèrent dans les forces adverses.
Le commandant de l’Église s’était certainement dit que s’ils continuaient à avancer de cette façon, ils ne parviendraient jamais jusqu’à la tranchée. L’armée du Châtiment Divin abandonna donc ses grands boucliers et fonça vers les tranchées à une vitesse telle que même les chevaux n’auraient pas pu les rattraper.
Ils se rapprochaient de plus en plus!
Le bruit des fusils et des mitrailleuses retentit en même temps.
Soudain, un brouillard de sang s’éleva devant Danny. La poussière qui montait du sol était plus dense encore que lors des bombardements. On aurait dit qu’une main géante et invisible s’abattait sévèrement sur les soldats adverses, qui furent contraint de ralentir considérablement. Toute personne touchée par cette force invisible était aussitôt déchiquetée dans des flots de sang.
Danny vit un soldat ennemi continuer à avancer bien qu’une balle eût traversé son bras. Tandis qu’il pointait son arme sur lui, le capitaine vit un “serpent de sable” composé de dizaines de lignes de poussière traverser négligemment le corps du soldat. C’était la trajectoire typique d’une mitraillette. La poitrine du soldat se mit soudain à onduler comme la surface d’un bassin, du sang bleu jaillit de son dos et ses côtes furent déchirées par le flux d’air brûlant des balles qui fusaient.
Bien que déséquilibré et plissé comme un chiffon, l’ennemi parvint encore à faire trois ou quatre pas avant de s’écrouler. Danny remarqua que son dos se décomposait déjà.
Soudain, Matt s’écria :
– « Attention, Capitaine! »
Stupéfait, Danny tourna la tête et vit un autre soldat de l’Armée du Châtiment Divin sortir de l’énorme nuage de poussière, une lance à la main.
Celui-ci se pencha et lança son arme en direction de Danny qui eut à peine le temps de le voir faire.
« Je suis trop imprudent », pensa-t-il. « J’étais si occupé à observer les ennemis que j’ai fini par attirer leur attention. Jamais un chasseur ne s’exposerait aussi longtemps devant sa proie »
Avant même qu’il n’ait pu réagir, Matt le poussa fortement et tous deux tombèrent sur le sol alors qu’un bruit fort résonnait au-dessus de leurs têtes.
Danny sentit une douleur à l’arrière de son crâne tandis que la poussière recouvrait son corps.
Le bruit des coups de feu s’évanouit et un bourdonnement insupportable retentit dans ses oreilles.
Un long moment passa, puis Danny reprit ses esprits. Il toucha l’arrière de sa tête et sentit quelque chose de collant. « J’ai dû heurter quelque chose de dur lorsque je suis tombé. Si je suis toujours conscient, c’est qu’il n’y a rien de grave. »
À travers son regard flou, il vit un coéquipier venir à lui.
– « Vous allez bien ? » Entendit vaguement Danny qui réussit à agiter la main en guise de réponse.
– « Venez m’aider! » Cria le soldat. « Nous avons deux hommes à terre! »
Aussitôt, plusieurs hommes entourèrent Danny et Matt et s’activèrent pour les tirer hors du monticule de terre qui s’était effondré.
C’est alors que Danny remarqua que la lance courte avait déchiré le bord de la tranchée, créant un espace en forme de croissant. Au lieu de survoler sa tête, l’arme avait frôlé le sol pour aller ensuite se ficher dans la paroi, ce qui avait provoqué cet éboulement.
Il regarda Matt et soudain, son cœur se serra. Le jeune homme avait une blessure ouverte de la taille d’un bol sur l’épaule. Son bras ne tenait plus qu’à quelques lambeaux de peau et l’on apercevait le blanc de ses os.
– « Ce coup de lance n’a pas été vain. Matt est blessé! »
Les soldats retournèrent au combat, laissant un des leurs sur place pour s’occuper de Matt. Ils avaient parfaitement compris que si un blessé parvenait à survivre jusqu’à la fin de la bataille, Mlle Naela le guérirait. De ce fait, l’hémostase et l’habillage faisaient partie intégrante de la formation au sein de la Première Armée. Le coéquipier resté sur place prit un poignard bien aiguisé et coupa d’un geste sûr le bras du jeune homme. Puis, prenant dans sa poche quelques herbes, il les répartit sur la blessure qu’il enveloppa ensuite de gaze.
Ce traitement terminé, Matt sortit de son coma en gémissant.
– « Restez allongé et soyez tranquille, vous ne mourrez pas », dit le soldat pour le réconforter.
– « Où est le ca… Capitaine ? »
– « Ici », répondit Danny. Il serra les dents, s’appuya sur ses membres affaiblis et s’approcha de Matt : « Pourquoi avez-vous fait cela pour moi ? »
– « Parce que je suis votre protecteur. Jamais je ne vous abandonnerai », répondit lentement Matt. « Qu’en pensez-vous ? Ais-je accompli mon devoir ? »
Danny sentit soudain un indescriptible sentiment de culpabilité l’envahir.
– « Bien sûr!… Vous vous en êtes très bien sorti. »
– « Vraiment ? » Demanda Matt en souriant faiblement. « Je vais pouvoir voir Melle Naela. »
– « En effet, vous allez tous deux la voir. » Le soldat regarda Danny : « Pouvez-vous prendre soin de lui ? Je dois retourner à mon poste. »
– « Bien sûr… Et merci », répondit le Capitaine en hochant la tête.
Leur compagnon d’arme parti, Danny ramassa lentement son fusil, l’épousseta et parvint enfin à se relever.
« Je suis encore en mesure de me battre! » Pensa-t-il. « L’ennemi va payer cette blessure de son sang. »
Cependant, l’armée de l’Église qui, tout à l’heure, approchait, avait disparu. À travers la poussière, il aperçut vaguement le dos des ennemis qui s’enfuyaient, paniqués.
Des cris s’élevèrent des tranchées : ils avaient gagné!