LiangZhu | 良渚
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Il était comme ça, grand-père Rivière. 

Quand il avait fini de parler, il s’asseyait sur une table, s’adossait confortablement et fermait les yeux. 

Sans doute était-ce dû à son âge car, ces dernières années, il avait pris l’habitude de s’endormir un peu n’importe où; et tous, dans la tribu, craignaient qu’un jour ou l’autre, il se fasse emporter dans la gueule d’un grand fauve. Mais, le fait est que, à leur grand étonnement, il ne lui arrivait jamais rien. 

Une fois, ils virent un troupeau de chèvres des montagnes débouler d’une pâture escarpée et traverser au galop la clairière, là où il s’était assoupi. Effarés, tous se précipitèrent en criant, persuadés que cette fois-là, c’en était fini, « le pauvre vieux » venait de se faire piétiner. 

Eh bien pas du tout. Après le passage du troupeau, une fois le nuage de poussière retombé, le vieil homme – sous leurs yeux ébahis –, s’était simplement évaporé. Ce n’est que plus tard, alors qu’ils se lamentaient, qu’il réapparut en pleine forme et en un seul morceau. 

« T’étais parti où, grand-père ? », lui demandèrent-ils ahuris. 

« Faire un tour chez les moutons, pardi », répondit-il en riant aux éclats. 

… … … 

C’était à nouveau la pleine Lune, cette nuit-là. 

À la lumière des torches, qui éblouissaient la cour comme en plein jour, s’ajoutait une lueur diaphane, prêtant au lieu une atmosphère de paix et de sérénité. 

Une fois encore, Liang et les autres étaient occupés à tailler le jade. Après maintes nuits passées à s’exercer, ils en avaient acquis des techniques, maîtrisaient même la fabrication des outils; et, aux plus assidus, grand-père Rivière avait aussi appris à forer. Autant de savoir-faire qui, dans leur vie de tous les jours, leur seraient d’un grand secours. 

« Le jade est l’une des pierres les plus dures », expliqua le sorcier. « Elle est si résistante, qu’on peut en faire tous nos outils. D’autant que, ce dont on ne manque pas, par ici, c’est bien de jade ! » 

« … Tenez, ce couteau par exemple. On s’en sert pour vider le poisson, chasser le gibier et couper du bois… » 

« … On peut tout faire avec du jade. Des pelles pour tourner la terre et planter du millet… » 

« … Des armes, pour chasser et pour défendre la tribu… » 

« Grands ou petits, nous avons besoin de toutes sortes de nouveaux outils. Je dirais qu’au bas mot, chacun doit posséder un couteau, une hache et un marteau. Aussi, faites preuve d’imagination. Dites ce qui vous passe par la tête. » 

« Pourquoi pas une fronde, grand-père ? », demanda Liang avec enthousiasme. « Après avoir percé un jade très acéré, j’y attacherai une grande ficelle; et avec ça, je pourrai débouler et tirer les chevreuils au galop. » 

« En voilà une idée », dit le sorcier. « Et toi, Caillou ? » 

« Un grand couteau, avec une lame très acérée. » 

« Et moi, une pelle, pour planter du millet », suggéra un autre, avant de proposer un nouvel outil, espérant, par son idée, se rendre utile et contribuer à la vie de la communauté. 

… … … 

Ces soirs-là, tandis qu’ils taillaient, le vieil homme s’asseyait sur la grande table de granite et, quand l’envie l’en prenait, leur contait les mythes et les légendes du Grand Passé. Comme l’Odyssée de la Montagne et de la Mer, et parfois même, la Glorieuse Ascension des Grands Aïeux de la Tribu à Plume. 

Ces histoires donnaient toujours une sorte de dimension nouvelle, de doux relief à la réalité qui les entourait. 

« Il avait une paire d’ailes », commença-t-il, « et pouvait, en un clin d’œil, s’envoler vers les sommets. » 

« Qui ça, grand-père ? » 

« Le Patriarche. » 

« Celui », continua-t-il, « qui nous enseigna, ainsi qu’à toutes les autres tribus du Grand Sud, d’ailleurs, la chasse, la pêche, la cueillette et tant d’autres 

choses, comme la fabrication de filets, le tissage, l’élevage du ver à soie, la poterie, la taille et la gravure… » 

« … Sans parler de la décence et de la piété. Car c’est lui, qui nous a appri à nous habiller, à vénérer le Ciel et la Terre, et à s’extasier de leurs créations. C’est grâce à tout cela, que notre tribu a pu survivre et prospérer. » 

« Alors, bien sûr, ensuite, on s’est brouillé avec les Yan-Huang, le peuple du Grand Nord et, après la guerre – que nous avons perdue, malheureusement –, c’est lui, encore et toujours, le Patriarche, qui nous a menés vers ces contrées fertiles – ces forêts pleines de gibier et ces eaux pleines de poisson. Vers le rivage du Grand Lac. » 

« Et comme, aussi belles soient ces rives, elles sont infestées de moustiques, de mouches porteuses de maladie, de serpents venimeux, quand nos aïeux décidèrent de s’y installer, c’est lui enfin qui les encouragea à étudier toutes les plantes de la région, afin d’en connaître les propriétés. Grâce à ce long travail de recherche, nous disposons aujourd’hui d’une myriade de remèdes pour nous soigner. » 

« Un homme très pieux, le Patriarche, qui vénérait le Ciel et la Terre. À qui les Esprits de la Montagne Sacrée ont montré la voie. » 

Et à ces mots, le visage paisible et radieux, il ferma les yeux… 

… … … 

Pendant qu’il dormait, et tandis que les apprentis continuèrent à graver sur le jade des motifs sacrés – symbolisant des nuages ou des canevas, que les Esprits en rêve leur avaient montrés (et qui, selon le sorcier, était un langage à part entière, de dialogue entre les hommes et les Dieux) –, un groupe de jeunes filles passa par là. 

Des paniers d’osier et des pots d’argile à la main, Zhu et ses amies, qui venaient tout juste de finir de danser, avaient décidé de leur apporter à manger. 

« Tu vas voir, c’est pas sorcier », lui dit Liang qui, fier de son savoir nouvellement acquis, tint à lui montrer quelques astuces. « À l’aide d’une fraise, on peut graver sur n’importe quoi: un os, un piquet, une dent d’animal… C’est beaucoup moins fatigant que de tailler la pierre. » 

« Que tu graves en relief, en épargne ou encore en taille-douce, c’est secondaire, pourvu que tes courbes soient élégantes et pleines de vie. » 

« J’ai ma p’tite idée », répondit Zhu, « mais je vais d’abord m’exercer sur un bout de bois. » Venant presque tous les soirs, et bien qu’elle ignorait les noms des différentes méthodes, elle était capable de graver des choses simples avec un couteau. 

« Qui va là ? », s’écria soudain le vieil homme en ouvrant les yeux; et, d’une voix éraillée: « Comment ? Les filles ? Vous n’êtes pas à la danse ? » 

« Mais on en vient, grand-père », répondit Zhu en souriant. « D’ailleurs, tiens, si on te montrait un peu ? », dit-elle et, tirant Liang par le bras : « Allez, dansez avec nous, vous autres. Vous avez assez taillé comme ça. » 

« En voilà une idée ! », s’exclama le sorcier. « Allez, allez, dansez, dansez, que je m’amuse un peu. » 

« Et alors, tu vas voir », ajouta-t-elle sobrement, « aux séquences traditionnelles, j’ai inséré les danses du taureau, du daim et de l’éléphant », tandis que les autres filles entamaient déjà les premiers pas – que les garçons, tant bien que mal, s’efforcèrent de suivre et d’imiter. 

Sans tambour ni cymbale, aux battements de leur cœur, tous – garçons et filles confondus – se mirent ainsi à danser au clair la Lune, à taper du pied, à onduler les bras, à tournoyer, mimant tantôt le jeter de filet et la pagaie sur le Grand Lac, tantôt la grimpe aux arbres et la cueillette, imaginant la présence de la forêt, des baies sauvages et des paniers en osier. De temps à autre, en interlude, ils exécutaient les danses brutales et puissantes du taureau et de l’éléphant. Leurs corps sveltes et agiles semblaient alors comme possédés par un démon… 

… …. … 

« C’est vraiment bien, Zhu », la félicitèrent Caillou et les autres. « Encore un effort, et vous serez prêtes pour le grand jour. Vous allez ravir les Esprits du Ciel. » 

« M’oui, m’oui, ça peut aller… », glosa le sorcier en éclatant de rire. « Mais ça ne vaut pas la danseuse au clair de Lune. ELLE est capable de ravir les Esprits. » 

« Qui est-ce, grand-père ? », demanda Zhu alarmée. « Où puis-je la trouver ? » 

« Tout vient à point », répondit-il plein de malice. « Mais il est tard », ajouta-t-il en baillant, « on aura l’occasion d’en reparler. » 



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