Tandis que Roland observait les invités, quelqu’un l’observait également.
– « Alors, avez-vous trouvé quelque chose à son sujet ? » Demanda Gavin à voix basse.
– « Oui », chuchota l’un de ses hommes. « Il est issu d’une famille ordinaire est ce n’est que par pur hasard qu’il est le voisin de Dame Garcia. Étant donné qu’il ne figure pas sur les registres du concours, je doute qu’il ait déjà participé à des matchs. Chose étrange, cela fait à peine trois mois qu’il a rejoint l’Association Martialiste. »
Même Gavin ne possédait pas la Force de la Nature, il savait tout ce qu’il y avait à savoir au sujet du concours martialiste. S’agissant de l’événement sportif le plus populaire, nombreux étaient ceux qui en connaissaient les règles et procédures. Outre le biennal “Duel des Martialistes”, de nombreux tournois et rencontres amicales étaient organisés tous les mois afin d’encourager les nouveaux Martialistes à rejoindre l’Association.
Généralement, les nouveaux Martialistes étaient très désireux de participer à un concours visant à améliorer leurs compétences et leur classement afin de se faire connaître et de gagner de l’argent. Seuls les amateurs hésitaient à faire la démonstration de leur pouvoir et Gavin était d’avis que s’ils craignaient tant d’entrer sous les projecteurs, c’était parce que ces orgueilleux étaient, pour la plupart, d’anciens criminels.
Frère de Garcia, Gavin était très préoccupé par le mandataire que sa sœur avait choisi. Celle-ci, en effet, n’était pas facile à vivre car trop entêtée et en raison de son obstination, les gens hésitaient à l’approcher. Cela étant, rares étaient ceux à qui Garcia accordait sa confiance.
Gavin n’avait guère été surpris du désaccord opposant sa sœur à son père car si Garcia était une excellente martialiste, elle faisait une piètre femme d’affaires.
Néanmoins, ce n’était pas la principale raison qui l’avait poussée à se renseigner sur Roland. Il jeta un regard à la table des VIP, située à l’entrée de la salle. Au premier rang était assise une femme toute vêtue de blanc. Elle ne portait pas d’accessoire et sa chevelure d’un noir de jais qui ruisselait sur ses épaules et lui donnait un air distant et sophistiqué.
Fei Yuhan, en effet, était l’une des nouvelles Martialistes les plus talentueuses depuis cinq ans. Elle avait déjà participé à deux reprises au Duel des Martialistes et bien qu’elle n’ait encore jamais remporté le championnat, la plupart des gens, convaincus que cela ne saurait tarder, attribuaient sa défaite à son jeune âge et à son manque d’expérience. Le bruit courait que ce nouveau génie deviendrait alors une nouvelle dirigeante de la Cité du Prisme.
Gavin ne s’attendait pas à ce qu’une personne aussi fière assiste à cette fête et sa présence était pour son père une agréable surprise. Grâce à elle, cette réception ferait certainement la une des journaux.
Mais alors qu’il trouvait enfin une occasion de lui parler, on lui confiait une mission.
Gavin s’efforça de retrouver son calme et s’approcha de la dame.
– « Mlle Fei Yuhan, ce que vous m’avez demandé de faire… »
– « J’ai entendu votre conversation », coupa cette dernière avec un léger sourire. « Je vous en remercie. »
Gavin en fut étonné : elle se trouvait à plus de dix mètres de lui et de plus la salle était bruyante!
– « Je n’ai pas entendu tout ce que vous avez dit et j’ai besoin de temps pour traiter l’information », expliqua aimablement Fei Yuhan devant son air stupéfait. « Lorsque vos hommes vous ont approché, j’ai concentré mon esprit et d’après le mouvement de vos lèvres, le son de vos voix et vos expressions, j’ai pu reconstituer la conversation. La plupart des Martialistes, en effet, savent lire sur les lèvres. »
– « Je vois… », répondit Gavin en souriant. « Vous êtes vraiment la meilleure du pays. »
– « La meilleure ? » Répéta-t-elle de sa voix argentine. « Mais je n’ai pas encore gagné la coupe! »
– « Cela ne saurait tarder. Vous êtes la seule à être arrivée en finale alors qu’il y a moins d’un an que vous êtes éveillée. Le “garde” de la Cité du Prisme lui-même n’en a pas fait autant… »
Sa voix se perdit à mesure qu’il parlait. Si Fai Yuhan écoutait, son sourire nonchalant parlait de lui-même : la jeune femme n’avait aucune envie de poursuivre cette conversation. Elle se montrait simplement polie. Il réalisa soudain qu’elle le lui avait clairement signifié en le remerciant et que si elle lui avait donné une explication, c’était simplement parce qu’il était l’organisateur de cette réception. Cette femme n’avait visiblement aucun intérêt à s’engager dans une relation personnelle.
À cette pensée, Gavin ressentit une flambée de colère : jamais on ne lui avait manifesté un tel mépris, à lui, le représentant du Groupe du Trèfle!
Cependant, il parvint à se maîtriser. Le groupe, en effet, ne pouvait se permettre d’offenser l’Association Martialiste qui entretenait d’étroites relations avec d’importants industriels et organismes gouvernementaux.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle son père avait investi autant d’argent pour établir des liens avec ces gens.
Gavin eut un sourire pincé et s’éloigna.
Mais son air offensé n’avait pas échappé à Fei Yuhan.
Sachant qu’elle ne pouvait compter que sur elle pour se défendre contre l’Érosion, la jeune femme se souciait peu de ce que les gens pensaient d’elle et n’était pas impressionnée par la richesse ou le pouvoir.
Son regard revint sur Roland.
Si elle assistait à cette réception, c’était uniquement parce que son maître le lui avait demandé. Au départ, elle n’avait pas compris pourquoi elle devait renoncer à ses séances d’entraînement pour un événement mondain aussi superficiel jusqu’à ce qu’un homme retienne son attention.
Lorsqu’un Éveillé avait atteint un certain niveau, il était en mesure de percevoir la force de son adversaire. Cela faisait désormais trois ans que Fei Yuhan maîtrisait cette compétence et en dehors de la Cité du Prisme, rares étaient ceux qui la surpassaient.
Mais concernant, cet homme, elle ne percevait rien. Roland avait pourtant le même comportement, les mêmes expressions, le même ton et les mêmes micro mouvements de peau que n’importe qui lorsqu’il s’exprimait, mais elle ne ressentait aucune fluctuation de son pouvoir et de ce fait, ne pouvait évaluer sa force. Or c’était un martialiste, car les gens ordinaires ne possédaient pas la Force de la Nature.
Même si elle était en mesure de mener elle-même l’enquête, Fei Yuhan préférait que d’autres s’en chargent c’est pourquoi elle avait sollicité l’aide de Gavin. La plupart des gens étant ravis de lui venir en aide, ils lui apportaient les meilleurs résultats.
C’est alors qu’elle avait entendu Gavin prononcer le nom de Roland et soudain, tout prenait un sens.
Une semaine auparavant, Fei Yuhan avait appris par son maître l’existence d’un nouveau « chasseur », un martialiste récemment
Il y a une semaine, Fei Yuhan avait appris de son maître qu’un nouveau martialiste venait d’obtenir de la Cité du Prisme sa licence de “chasseur”. Sur le moment, elle n’en avait pas été surprise, sachant qu’un martialiste hors pair qui luttait contre les Déchus méritait certains privilèges. Mais par la suite, elle avait appris que celui qui avait obtenu cette licence était une nouvelle recrue.
Si l’Association ne tenait pas pour strictement confidentielles les informations concernant les Martialistes détenteurs de licence, toute la communauté en aurait été remuée. Ceux-ci, en effet, étaient généralement considérés comme égaux aux champions du concours et parfois même plus respectés du public que ne l’étaient ces derniers. Cela revenait à annoncer à la jeune femme qu’un nouvel éveillé venait de lui arracher la coupe! Quel outrage!
Ses deux participations à la finale du championnat perdaient soudain toute leur importance.
Fei Yuhan serra le poing mais son visage restait impassible.
Élève d’un vieux garde de la Cité du Prisme, elle avait entendu parler du désaccord opposant les nouveaux et les anciens Martialistes et qui portait essentiellement sur la question de savoir quelle école était la plus forte : ceux qui risquaient leur vie et s’entraînaient en luttant contre les Déchus ou ceux qui combattaient sur scène ?
Si la lutte contre les Déchus était une tâche ardue, rares étaient ceux qui avaient l’occasion d’en affronter un et souvent, pour de nombreux combattants, le premier affrontement était aussi le dernier. Les autres, en revanche, avaient choisi la sécurité mais habitués à cette manière de combattre, il leur arrivait souvent de paniquer face à un solide adversaire. Pour tout dire, ces deux théories avaient de nombreux partisans et il était difficile, dans la pratique, de trancher.
Mais Fei Yuhan semblait avoir trouvé un moyen de répondre à cette question.
Roland, qui n’avait jamais pris part à des matchs et se battait en permanence contre les Déchus était de la vieille école alors qu’elle-même pouvait être considérée comme une martialiste moderne.
En l’envoyant à cette réception, son maître espérait sans doute que ces deux représentants des deux camps opposés fassent connaissance.
Cependant, Fei Yuhan n’avait pas l’intention de prendre part à ce conflit interne à l’Association. En effet, elle ne se considérait pas comme un martialiste moderne et si son maître ne le lui avait strictement interdit, elle aussi se serait battue contre les Déchus.
Elle souhaitait simplement se mesurer à un adversaire qu’elle jugeait à sa hauteur. Ceci dit, il lui était difficile d’envisager l’issue d’un duel entre eux étant donné qu’elle ne pouvait percevoir le pouvoir de Roland.
En d’autres termes, ils étaient à égalité.
Fei Yuhan eut un léger sourire : finalement, cette réception n’était pas si ennuyeuse.
De plus, elle avait entendu des conversations intéressantes entre les trois jeunes filles qui accompagnaient Roland et surpris des mots comme “le Monde des Rêves” ou encore “Sa Majesté”.
Était-ce un nouveau jeu de rôle à la mode ? À en juger par l’apparence de ces trois jeunes filles, ce ne semblait pas être le cas.
Elle décida donc de poser personnellement la question à Roland et se mit à réfléchir.
Ce dernier, dans l’intervalle, identifia enfin celui qu’il était venu voir lorsqu’il vit le père de Garcia monter sur l’estrade sous les applaudissements de la foule.