– « Comment se nomme votre Seigneur ? » Demanda Roland qui avait le sentiment que, sur le plan émotionnel, cette créature était bien plus riche que le Déchu.
Il espérait lui poser le plus de question possibles pour en tirer un maximum de renseignements. Ce faisant, il fit signe à Fanny et Donna, qui se trouvaient derrière lui et qui étaient blessées, de quitter les lieux sans tarder car s’ils devaient fuir au plus vite, il serait certainement plus rapide que les sorcières.
– « Mon Seigneur est à la fois l’absolu et le néant. Une présence insondable pour vous autres. » La créature déploya ses ailes fantômes émettant une lueur rouge et tendit ses mains vers le sol. « Tes ruses, ici, ne serviront à rien. Tu voudrais qu’elles s’échappent ? Il est trop tard! »
Du sang écarlate jaillit de son corps et s’étendit rapidement sur les surfaces de la pièce. En un clin d’œil, les sols, les murs et le plafond de la salle virèrent au rouge vif.
Line, qui était désormais à découvert, se sentit projetée loin du mur par une force inconnue et retomba aux côtés de Phyllis.
– « Qu’est… Qu’est-ce que c’est ? » S’écria Fanny d’une voix étouffée.
Il tourna la tête et aperçut des tentacules hérissés d’épines qui émergeaient du vide rouge et noir et enserraient les jambes des sorcières. Il se souvint alors avoir déjà vu quelque chose de similaire.
Mais il n’eut pas le temps de réfléchir plus avant car la situation se détériorait rapidement.
Roland, dont le courant chaud intérieur tourbillonnait furieusement, rassembla ses forces physiques et fonça droit sur l’étrange ennemi.
– « Hein ? Tu n’es pas affecté ? » S’exclama la créature magique en levant la main sur lui. « Que dis-tu de ça ? »
Une énergie extrêmement puissante jaillit de sa paume en direction de Roland. L’impact, semblable à un énorme coup de marteau, l’envoya voler contre le mur avec un bruit sourd. Il eut l’impression que son dos brûlait et que tous ses organes avaient été déplacés.
Par instinct, il toussa et sentit quelque chose de doux mais de suspect sortir de sa gorge.
– « Votre Majesté! » S’écria Phyllis, inquiète.
À l’exception de Roland, elle était désormais la seule personne encore capable de bouger. Ses lames dorsales dansaient de haut en bas, tranchant les tentacules qui dépassaient du sol, mais il y en avait tant que pour le moment, elle était incapable de se rapprocher du Roi.
L’heure était grave.
Cependant, l’esprit de Roland restait étonnement clair. On aurait dit que toute peur avait été effacée de son cerveau.
Le courant chaud qui le parcourait s’accélérait de plus en plus, accompagnant les vigoureux battements de son cœur. Un changement extraordinaire semblait s’opérer dans son corps.
Toute la puissance magique de ce monde gravitait vers lui.
Les lueurs rouges qui recouvraient les murs perdirent de leur puissance et lorsque les coulées de sang passaient près de lui, elles le contournaient et si par hasard elles le touchaient, une trace bleue apparaissait aussitôt.
Roland ne comprenait rien à ce qui était en train de se produire et ne le contrôlait absolument pas. Les cris tumultueux semblèrent s’harmoniser en un étrange son qui retentit à son oreille.
« Tue-le, tue-le! »
Le monstre, qui commençait à s’apercevoir que quelque chose ne tournait pas rond, demanda :
– « Que se passe-t-il ? Qu’as-tu fait à mon pouvoir magique ? »
Il y avait une légère fluctuation dans sa voix sèche.
Roland ne répondit pas. Le courant chaud qui parcourait son corps s’était amplifié à l’extrême. Instinctivement, il se cambra. L’instant d’après, il fonçait, tel un boulet de canon, sur son adversaire.
« Tuuuuuuue-leeeeeeeee!!!!!!!! »
– « Meurs! » S’écria le monstre en levant à nouveau la main sur lui, répétant sa précédente tactique.
Pour la première fois, Roland vit le courant chaud sortir de son corps et former un rideau de lumière bleue destiné à le protéger. La puissance du monstre ne l’atteignit pas et lorsque tous deux entrèrent en collision, un éclat éblouissant plana au-dessus de sa tête, le précipitant directement dans la poitrine du monstre.
Il lui donna un coup de poing mais contre toute attente, ce fut comme s’il frappait dans quelque chose de liquide. Il vit son bras s’enfoncer dans le corps du monstre, à seulement quelques centimètres des étoiles de jade. Roland serra les dents, ouvrit le poing et saisit le plus grand anneau d’étoiles que le monstre portait sur la poitrine.
Aussitôt, celui-ci laissa échapper un rugissement assourdissant.
– « Non!! Comment as-tu pu toucher à la puissance du Seigneur ? »
L’anneau, qui ressemblait à une galaxie, se mit alors à trembler et passa progressivement du rouge profond au bleu, puis au blanc. Toutefois, le processus fut lent et ne se produisit pas sans rechutes. Roland avait l’impression de lutter contre un taureau farouche. Heureusement, la magie convergeait de plus en plus dans sa direction et le monde entier semblait vouloir se fondre en lui.
– « C’était donc ça! Je comprends maintenant! » Rugit le monstre sur la tête duquel s’ouvrait un œil unique, semblable à un vortex. « C’est toi seul qui es responsable de la création de ce monde! Toi seul qui as vaincu mon Seigneur! »
– « N’avez-vous pas dit qu’il était à la fois “l’absolu et le néant” ? Comment donc aurais-je pu seulement le toucher ? » Répondit Roland avec un rire sardonique.
– « Imbécile! Mon Seigneur est peut-être tout-puissant, mais il n’a pas le pouvoir de tout interrompre par lui-même… Partez, et ne revenez jamais ici! …Tes actions sont en train de tout détruire!… Vous allez périr, et toutes les créatures vivantes périront également, par ta faute! »
Sa voix devenait de moins en moins claire, comme si elle était affectée par de sérieuses interférences. Roland s’aperçut que la résistance de l’anneau étoilé faiblissait tandis que le changement de couleur s’accélérait.
– « Toutes les créatures vivantes ? » Il jeta un coup d’œil aux sorcières, affaiblies, qui étaient assises sur le sol derrière lui. « Non! Vous et vos semblables serez les seuls à périr! J’ignore d’où vous venez et quelles sont vos intentions, mais ce que je sais, c’est que ce monde se portera mieux sans vous! »
– « De … tssss … Pays sans Fond … pas d’intention … tsss … c’est la règle… »
Le monstre n’était plus capable de cracher une phrase complète. Roland remarqua en outre que toute émotion en lui semblait avoir disparu. Sa voix était désormais plate et monotone. On aurait dit un répondeur uniquement capable de fournir une réponse déterminée.
À peine eut-il fini de parler que toute résistance dans la main de Roland disparut instantanément.
L’anneau étoilé se mit à tourner à une vitesse stupéfiante et toutes les étoiles de jade convergèrent vers lui pour former une lumière blanche éblouissante. Durant un instant, Roland eu l’impression d’entendre battre le cœur de la Terre.
La montée en puissance du pouvoir magique fut encore plus spectaculaire que les deux fois précédentes. Le monstre prit l’apparence d’une masse ronde et libéra une colonne de lumière argentée qui se dirigea droit vers le plafond. Cela dura un bon moment. Face à ce spectacle incomparable, Roland ressentit une indicible satisfaction et un plaisir corporel qui surpassaient ceux de ses deux précédentes rencontres.
Les sorcières n’étaient pas grièvement blessées, mais elles avaient utilisé tout leur pouvoir magique. Heureusement, elles étaient encore capables de marcher. Phyllis lui expliqua que, pendant qu’il était en mauvaise posture vis-à-vis du monstre, il avait absorbé la magie des quatre sorcières, ce qui n’aurait jamais pu se produire dans le monde réel.
Cependant, ce n’était là qu’un phénomène qui venait clôturer une nuit pleine d’évènements inimaginables.
Après une fouille rapide, Roland, muni d’un lourd coffre-fort et des clés de voiture de l’homme en costume, quitta la villa en compagnie des sorcières.