C’était la première fois que Cendres prenait l’initiative d’attaquer depuis la métamorphose animale de la Princesse du clan du Feu Ravageur.
Loélia ne recula pas pour autant. Elle se redressa et se précipita vers son adversaire. Mais cette fois, ses attaques n’étaient plus cohérentes et, malgré un large éventail de frappes, elle ne parvenait pas à la contraindre à bloquer ou à riposter. Cendres était désormais plus rapide qu’elle et alors qu’auparavant la Princesse parvenait à l’atteindre, tout au plus réussissait-elle à arracher un pan de sa robe.
La plupart du temps, ses frappes balayaient le vide.
Au bout d’un moment, réalisant que sa patte droite était inefficace, la femme-loup eut recours à une puissante tactique. Elle fit appel à ce qui lui restait de force pour tourner sur elle-même et frapper son adversaire de son énorme queue, technique qui lui permit de placer instantanément la moitié de la plate-forme dans sa zone offensive. Malgré sa rapidité, à moins qu’elle n’ait pas l’intention de s’approcher trop près, Cendres ne pourrait pas reculer et telle un fouet, la queue de loup déchirerait ses chairs et lui occasionnerait de nombreuses blessures.
Mais l’impact tant attendu ne se produisit pas.
– « Oh non! » entendit-on, depuis la plateforme.
Loélia aperçut du coin de l’œil une silhouette qui descendait des airs et eut un mauvais pressentiment.
« Elle… peut voler ? »
Les yeux écarquillés, les spectateurs virent Cendres léviter au-dessus de la femme-loup qui faisait bien une tête de plus qu’elle et se poser sur son crâne au moment même où elle tournait la tête.
Si la queue du loup couvrait un vaste rayon d’attaque, elle ne représentait pas une menace pour quiconque se trouvait dans les airs. Cependant, il était extrêmement difficile pour la plupart des gens de faire un tel bond. Par ailleurs, comme l’adversaire pouvait aisément évaluer son point d’atterrissage pour prévoir l’attaque suivante, peu de personnes, au cours d’un duel, oseraient s’y risquer.
Malheureusement pour la femme-loup, le fait de se retourner pour effectuer une frappe rapide avait eu pour effet de faire de sa queue un angle mort.
Sans plus de pitié, Cendres envoya son poing dans l’œil de Loélia et le lui déchira. Sous l’effet de l’intense douleur, la Princesse poussa un cri rauque tandis que le sang éclaboussait son corps. Certes, elle était résistante mais ses yeux restaient particulièrement fragiles. Une fois la Princesse éborgnée, la balance allait rapidement pencher en faveur de l’Extraordinaire.
Cependant, alors qu’elle rétractait son poing avec l’intention de donner à son adversaire une chance de se rendre, Cendres s’aperçut que Loélia avait fermé l’œil, ses paupières et les muscles de son visage agrippant fermement la main droite tandis qu’une patte géante, tel un éclair, se précipitait vers elle.
Si ces griffes parvenaient à la blesser, cela aggraverait du même coup le traumatisme oculaire de la femme-loup.
De toute évidence, la Princesse était déterminée à se battre.
En temps normal, cette tentative de rétention n’aurait eu pour effet que de ralentir quelque peu les mouvements de l’Extraordinaire et non de la piéger. Mais en un moment critique comme celui-ci, la moindre seconde perdue pouvait avoir des conséquences dramatiques.
Consciente qu’elle ne pourrait pas l’éviter, Cendres leva sans hésiter le bras gauche pour tenter de parer l’attaque.
L’impact fut tel qu’elle eut le sentiment d’entendre craquer ses os tandis que du sang jaillissait de sa bouche.
C’était probablement la première fois depuis que le duel avait commencé qu’elle était vraiment touchée et lorsque toutes deux se séparèrent, Cendres s’aperçut que son bras gauche, tordu, avait pris une forme étrange.
Loélia rugit et se précipita vers elle, la bouche grande ouverte dans l’intention de mordre.
Au lieu de reculer, l’Extraordinaire fit une roulade avant et rampa jusque sous le cou de la femme-loup, dans son angle mort. Là, une main agrippant le sol, elle lança ses deux jambes en direction de l’une des pattes arrières de son adversaire.
Il y eut un bruit sourd et la patte plia. Désormais sur trois membres, la femme-loup n’avait plus guère de potentiel d’attaque.
– « Loélia! Cela suffit! » S’écria Ghazi, le chef du clan du Feu Ravageur.
– « Non », répondit la Princesse, à bout de souffle. « Je peux continuer. Comme elle n’est guère en meilleure posture que moi, il me suffit de tenir…de tenir encore un peu et tout ira bien! »
Cendres passa sa langue sur le sang qui perlait au coin de sa bouche et ne put s’empêcher de rire.
Son adversaire avait raison : elle n’était pas en très bonne condition. Suite au violent impact qu’elle venait de subir, son corps entier était douloureux, comme si ses organes internes avaient été déplacés et son bras cassé retombait faiblement sur le côté. Elle semblait aussi pathétique que le loup géant, qui était borgne et se tenait sur trois pattes.
Cependant, contrairement à un humain, un loup ne pouvait se déplacer sur deux membres. Par ailleurs, la femme-loup avait perdu un œil et l’un dans l’autre, cela limitait considérablement sa capacité d’action. Au cours de ses combats contre les Guerriers du Châtiment Divin, elle avait appris qu’il ne servait à rien d’être puissant si l’on ne pouvait pas frapper l’adversaire avec précision.
Cependant, une chose était certaine : Cendres était beaucoup plus forte que l’année précédente.
Au moment de cet énorme impact, elle avait nettement senti son pouvoir magique circuler dans son corps comme jamais auparavant tandis que le temps semblait ralentir. Elle avait même pu voir la patte griffue se rapprocher d’elle.
La majeure partie de sa magie s’étant accumulée dans son avant-bras, elle disposait d’une puissance sans précédent.
Autrefois, en effet, ce coup, en plus de briser son bras qui lui tenait lieu de bouclier, lui aurait fracturé les côtes et déchiré ses organes internes. Mais outre la douleur, elle ne ressentait ni engourdissement ni faiblesse.
Était-ce ce à quoi Ayesha faisait allusion lorsqu’elle parlait de sentiment d’urgence ?
Elle avait l’impression de se tenir devant une épaisse porte.
Si la femme-loup parvenait à contrôler son pouvoir magique de manière à ne transformer en animal que certaines parties de son corps, l’Extraordinaire ne pouvait-elle pas appliquer le même procédé afin que chacune de ses attaques ait une puissance dépassant les limites de son propre pouvoir ?
Cela valait peut-être la peine de s’y exercer.
Mais dans l’immédiat, il fallait trouver une solution à ce duel.
« Et si je lui démolissais l’autre œil ? » Pensa la sorcière. « Elle serait bien obligée d’admettre sa défaite. »
Les herbes de Chloris la maintiendraient en vie et il suffirait alors de la transporter dans la Région de l’Ouest ou Naela la remettrait sur pied.
Cendres prit une profonde inspiration et se courba légèrement tandis que Loélia, en position offensive, montrait les crocs.
Toutes deux savaient que le coup qui allait venir, quel que soit le résultat, serait le coup de grâce et que seule l’une d’entre elles resterait debout.
Dans l’assistance, l’atmosphère était si pesante que l’on entendait plus que le crépitement des flammes sur les terres alentour.
Cendres allait attaquer lorsque soudain, la voix d’Echo retentit :
– « Attention! Au-dessus! »
Elle leva aussitôt les yeux et vit un énorme monstre se précipiter vers la plateforme. Il était encore plus grand que l’arène et ses griffes, aussi épaisses que le bras, évoquaient des lames. Alors qu’il se rapprochait du sol, elle entendit le sifflement du vent passer sur ses ailes déployées.
Cendres rassembla toutes ses forces et fit un bond sur le côté dans l’espoir d’éviter l’attaque en piqué du monstre.
Du coin de l’œil, elle vit Loélia tenter d’esquiver mais en raison de sa patte cassée, elle n’y parvint pas et fut frappée par l’assaillant.
Il y eut un bruit retentissant et la plateforme se fissura comme si elle avait été touchée par des météores tandis que la Princesse poussait un cri déchirant.