La Cité du Roi était sans nul doute possible un énorme trésor.
Même si cette ville était plutôt arriérée et si ses magnifiques constructions ne signifiaient rien aux yeux de Roland, c’était tout de même le plus beau joyau du Royaume de Graycastle.
En termes de population, les aristocrates y étaient bien plus nombreux que partout ailleurs. La première chose qui viendrait à l’esprit de toute personne qui aurait perdu son rang et ses terres serait de venir chercher de nouvelles opportunités à la Cité du Roi. Si l’on prenait en compte les nobles sans terres et les Chevalier adoubés par le Roi, la population serait nettement supérieure. Au centre-ville, par exemple, la noblesse constituait près de 20% des citoyens. La plupart d’entre eux, qui avaient reçu une instruction de base, savaient lire et écrire. Pour Roland, cela valait la peine de former ces fonctionnaires potentiels. Privés de terres et de propriétés, ils n’opposeraient guère de résistance à la nouvelle politique et leur excellente perspicacité leur permettrait d’accepter plus rapidement la nouveauté.
En termes d’industrie, c’était également à la Cité du Roi que l’on trouvait les meilleurs ouvriers de tous les corps de métier. Outre les groupements de commerçants et d’artisans, la ville détenait aussi la plus grande association d’alchimistes et l’unique association d’astrologues. Roland convoitait ces talents et s’il avait convoqué Barov et Kyle Sichi, c’était dans le but d’exploiter au mieux ces ressources humaines.
En termes de richesses, toutes les collections trouvée dans le palais avaient une valeur dix fois supérieure à celles du Duc Ryan. Les Royals d’or, les joyaux et l’artisanat d’or remplissaient plusieurs entrepôts. Si l’on ajoutait à ceci les biens des ministres déchus du pouvoir en même temps que Timothy, le résultat serait stupéfiant. En confisquant toutes leurs propriétés, la Cité Sans Hiver serait tranquille pour deux ou trois ans. Cependant, Roland, qui ne voulait pas perdre de temps, n’avait pas prévu d’emporter tous ces trésors. Par ailleurs, il allait avoir besoin de beaucoup de richesses pour prendre le contrôle de la Cité du Roi et garantir sa stabilité. Il ne voyait pas l’intérêt d’accumuler une fortune dans les soubassements du palais, pas plus que de dépenser l’argent sans compter, aussi était-il préférable de le mettre en circulation.
Dans la mesure du possible, Roland aurait bien aimé prendre six mois pour traiter toutes ces ressources. Mais la Cité du Roi se trouvait au centre du Royaume et il semblait plus urgent de prendre possession de la Crête du Dragon Déchu et de la Région de l’Extrême Sud qui elles, étaient voisines de la Région de l’Ouest.
Hache-de-Fer venait de partir lorsqu’un garde annonça :
– « Votre Majesté, une femme d’affaires appelée Margaret attend devant la porte du palais. Elle désire vous voir. »
Le regard de Roland s’illumina :
– « Amenez-la moi »
Lorsque la commerçante entra dans la salle, Roland se leva pour l’accueillir en souriant :
– « Je suis très heureux de vous revoir, après tout ce temps. »
– « Je n’aurais jamais pensé que lorsque nous nous reverrions, ce serait au palais royal de Graycastle », répondit Margaret qui, soulevant l’ourlet de sa robe, s’inclina devant Roland. « Vous me surprendrez toujours, Votre Altesse… Ou devrais-je dire : Votre Majesté. »
– « C’est sans importance », dit Roland avec un signe de la main. « Le couronnement n’ayant pas encore eu lieu, officiellement, je ne suis pas encore Roi. »
– « Vous n’êtes guère inquiet à ce sujet, de plus, vous avez le comportement d’un Roi. » Margaret sourit : « Dorénavant, il va y avoir des opportunités d’affaires partout dans la Cité du Roi. En tant que vieil ami, vous devriez vous soucier un peu plus de moi. »
– « Bien sûr! Même si vous n’étiez pas venue à moi, je vous aurais trouvée », répondit-il avec un rire franc. « Vous ne le savez peut-être pas, mais Border Town et la Forteresse de Longsong font maintenant partie d’une seule et même Cité. L’usine de fabrication des machines à vapeur ayant ouvert plusieurs autres lignes de production, le rendement va tripler. Il y aura également de nouveaux produits. Je vous fais la promesse qu’ils n’auront pas leur pareil dans tous les Quatre Royaumes. »
– « Je connais votre immense créativité. Si vous le voulez bien, nous parlerons de tout ceci en détail un peu plus tard », approuva Margaret, « mais ce n’est pas la raison de ma visite aujourd’hui. Je suis venue vous demander une faveur. »
– « Ah bon ? » Fit Roland, intéressé. « Dites-moi tout. »
– « Pourrions-nous… aller discuter ailleurs ? » Demanda-t-elle doucement en jetant un coup d’œil circulaire dans la salle.
« S’il s’agit d’un problème qui ne peut être résolu avec les moyens financiers de la Chambre de Commerce et que de surcroît il nous faut nous montrer particulièrement discrets à ce sujet… Se pourrait-il que ses ennuis soient sérieux à ce point ? Le Prince réfléchit un instant : « Dans ce cas, allons dans mon bureau. »
Situé au dernier étage de la Tour de la Couronne, ce cabinet de travail, qui appartenait jadis au roi Wimbledon III, était la pièce que petit, le Prince affectionnait le plus. C’était le seul endroit où il pouvait voir son père, d’ordinaire très réservé. Cependant, si Roland l’avait choisi, c’était uniquement parce qu’il était bien trop élevé pour qu’il puisse exister des passages secrets. Seule une volée de marches sinueuses y menait, de ce fait, l’endroit était à la fois facile à défendre et difficile à attaquer.
– « Vous pouvez parler à présent », dit-il alors qu’ils se retrouvaient seuls dans la pièce, à l’exception bien sûr de Rossignol qui, comme de coutume, était invisible.
– « Pardonnez-moi, Votre Majesté », dit-elle en s’inclinant respectueusement. « J’ai promis à la personne que je n’en parlerais qu’à vous. Tonnerre désire vous rencontrer. »
– « Tonnerre ? » S’exclama Roland, stupéfait. « Vous voulez parler de l’explorateur le plus célèbre des Fjords ? Je croyais qu’il avait fait naufrage ? »
– « Même si un véritable explorateur croit aux Trois Dieux, il n’est pas pressé d’aller les rejoindre », répondit Margaret. « Il ne tient pas à ce que l’on sache où il se trouve, surtout Foudre, c’est la raison pour laquelle je ne pouvais vous en parler qu’en aparté. Tonnerre avait prévu de prendre contact avec vous par l’intermédiaire de Tilly, mais lorsqu’il a appris que vous occupiez la Cité du Roi, il a changé d’avis à la dernière minute. » La femme d’affaires s’interrompit un instant : « Il m’a également chargée de vous dire qu’il avait découvert, à l’est des îles aux Ombres, des choses stupéfiantes qui vous intéresseraient certainement et qui pourraient bien être en rapport avec ces ruines vieilles de centaines d’années. »
– « Attendez… Vous sous entendez qu’il se trouve actuellement à la Cité du Roi ? »
– « Oui, il est arrivé ici hier. C’est après m’avoir rencontrée qu’il a pris cette décision. »
– « Vous n’avez pas l’air surprise par son retour d’entre les morts », dit Roland, perplexe. « Il y’a longtemps que vous êtes au courant ? »
Margaret acquiesça.
– « Si je comprends bien, la première fois que vous êtes venue faire des affaires à Border Town, ce n’était pas à cause des gardes que j’ai envoyés mais pour voir Foudre, n’est-ce pas ? »
– « Je suis désolée de ne pas vous en avoir parlé plus tôt », dit-elle, la main sur le cœur. « Foudre portait une Pierre Magique afin que son père puisse la localiser. Il ne m’a envoyée là-bas que pour s’assurer qu’elle était en sécurité. Lorsqu’il a su que Foudre vivait sur vos terres, Tonnerre a décidé de cacher ces informations pour préserver sa fille afin qu’elle ne devienne pas à son tour exploratrice. »
« Alors c’est ça », pensa Roland qui comprit aussitôt. « Comme, à l’époque, je n’ai pas demandé davantage de détails à Margaret au sujet de la mort de Tonnerre, en un sens, elle m’a dit la vérité c’est pourquoi Rossignol n’a rien décelé. La seule chose qu’elle a pu me dire, c’est que cette femme n’avait pas de mauvaises intentions envers les sorcières. Quoi qu’il en soit, il y avait une raison à cette coïncidence : sans Foudre, jamais mon commerce de machines à vapeur ne se serait développé aussi rapidement. »
– « La Cité du Roi étant encore en désordre, je ne peux quitter le palais pour le moment », dit Roland après quelques instants de réflexion. « Si Tonnerre désire me rencontrer, vous pouvez me l’amener. Je vous fais la promesse de ne rien révéler à Foudre. »
– « Merci pour votre bonté, Votre Majesté », dit Margaret, reconnaissante, en s’inclinant à nouveau. « Je lui ferai connaître votre réponse au plus vite. »
Peu de temps après que les domestiques eurent raccompagné la femme d’affaires, Roland retourna dans la grande salle où un garde vint l’avertir :
– « Votre Majesté, il y a dehors un aristocrate qui prétend être un vieil ami à vous et insiste lourdement pour entrer. »
Cette nouvelle le surprit quelque peu. Il se doutait bien que tôt ou tard, les petits aristocrates qui n’avaient pas été touchés par l’offensive de printemps viendraient fureter dans les alentours, mais il ne s’attendait pas à ce que cela se produise si vite. La logique aurait voulu qu’ils attendent de connaître ses tendances politiques et ne se précipitent pas ainsi pour se manifester avant même que Timothy n’ait été exécuté. Par ailleurs, comment un noble de rang inférieur pouvait-il prétendre être l’ami d’un Prince ?
– « Quel est son nom », Demanda-t-il.
– « Sir Yorko, Votre Majesté », répondit le garde.