Alors que la Jolie Dame s’approchait lentement du port, Tilly sortit et vit que le quai était rempli de sorcières venues l’accueillir.
– « Dame Tilly, enfin, vous voici de retour! » S’écria Molly en se précipitant la première avec l’aide de son Serviteur Magique.
– « Wow, quelle sournoise! » se plaignit Honey.
– « Oui, où est Via ? Ouvrez la porte, afin que nous puissions passer nous aussi! » S’écria Ombre.
– « Arrêtez. Ma capacité ne sert pas à harceler Dame Tilly! »
Toutes éclatèrent de rire. À la vue de leurs sourires sincères, Tilly sentit disparaitre les soucis des jours précédents.
Quoi qu’il en soit, son véritable foyer était ici : un royaume construit par des sorcières.
Sur le quai, Camilla Dary vint au-devant d’elle :
– « Voilà si longtemps que vous êtes partie que je finissais par me demander si vous alliez revenir. »
– « Comment se pourrait-il ? » Répondit la Princesse en souriant. « Je ne m’attendais pas à ce que les mois des démons durent si longtemps. Comment cela s’est-il passé sur l’Île Dormante ? »
– « Etant donné que vous m’avez confié cette tâche, je me devais de la mener à bien », répondit Camilla, la main sur le cœur. « Dans l’ensemble, les choses se sont améliorées. C’était une bonne idée que de créer les Sortilèges de l’Île Dormante. Je vous raconterai tout en détail un peu plus tard, mais pour le moment… je vous laisse avec les sorcières », dit-elle avec un clin d’œil, « sans quoi elles vont me dévorer vivante. »
En tant que membre de la haute noblesse de la Cité du Roi, Camilla était très habile en matière de gestion et avait joué un rôle clé dans le recrutement des sorcières. C’est grâce à elle que la Princesse avait pu s’absenter en toute confiance afin d’explorer la Région de l’Ouest.
Tilly secoua la tête, résignée, passa devant l’Intendante en Chef, leva la main en direction de la foule et se retrouva aussitôt encerclée par une mer de sorcières.
– « Votre Altesse, avez-vous vu votre frère ? Comment vous a-t-il traitée ? »
– « J’ai entendu dire qu’il y avait également une organisation de sorcières dans leur ville. Vont-elles venir vivre avec nous ? »
– « Est-il vrai que dans cette petite ville désolée, les gens n’ont pas à s’inquiéter pour la nourriture ni pour le vêtement et qu’ils vivent tous dans des maisons neuves ? »
– « Je suis si heureuse que vous soyez de retour! Vous nous avez vraiment manqué. »
Tilly répondait à leurs questions et préoccupations une par une lorsque soudain, Shavi atterrit sur le quai avec une pile de livres. Aussitôt, l’attention de toutes fut attirée par ces trésors inestimables.
– « Qu’est-ce que c’est ? »
– « Des documents en provenance de ruines antiques ? »
– « Ils ne ressemblent pas à des documents anciens. Les pages sont neuves, ce sont probablement des légendes. »
– « Ou peut-être des scénarios de pièces. Honnêtement, voilà longtemps que je ne suis pas allée à une représentation théâtrale. »
– « Hum… mais que faire si je ne sais pas lire ? »
Tilly frappa dans ses mains pour obtenir le silence.
– « Voici des cadeaux que Son Altesse Roland Wimbledon vous adresse : ils comprennent la lecture et l’écriture de livrets, des mathématiques de base et des sciences naturelles! Pour résumer, ces livres sont remplis de connaissances! »
– « Des connaissances ? »
La plupart des sorcières semblaient confuses, tandis que Camilla et d’autres issues de l’aristocratie étaient plutôt surprises.
– « Avez-vous réellement l’intention d’enseigner ces connaissances à tout le monde ? »
Tilly hocha la tête :
– « C’est le seul moyen d’améliorer nos capacités. »
Roland lui avait un jour expliqué que l’éducation universelle n’était pas facile à mettre en œuvre car elle nécessitait beaucoup d’argent et de temps. Lorsque les gens laissaient de côté leur emploi pour pouvoir étudier leur domaine d’activité, pour un temps, perdait de la main d’œuvre. Il fallait également de l’argent pour les encourager à étudier, ce qui, ajouté aux salaires des enseignants et au coût de construction de bâtiments dédiés à l’étude, n’était pas négligeable. Plus important encore, contrairement au commerce, il n’y avait pas de profits immédiats. Le projet devait être mené sur le long terme par le dirigeant.
Cependant, cela générait de profonds changements, non seulement pour les gens normaux mais plus encore pour les sorcières. Tilly en avait été témoin à Border Town. Avant de se rendre dans la Région de l’Ouest, elle n’aurait jamais pu imaginer que des gens du peuple puissent avoir autant de vigueur et de vitalité.
De retour au palais, alors qu’elle se préparait à organiser le plan d’éducation universelle selon les méthodes de Sophia, Cendres frappa à la porte :
– « Tonnerre désire vous voir. »
– « Ah, comme ça fait longtemps, Votre Altesse », dit ce dernier avec son éternel sourire, chaleureux et authentique. « Comment ça s’est passé ? Est-ce que votre voyage dans la Région de l’Ouest a répondu à vos questions ?
– « Honnêtement, je n’ai pas la réponse que j’attendais » répondit Tilly. « Il s’est toujours montré très réservé envers moi mais étant donné les circonstances, ces questions ne sont pas si importantes pour le moment… au fait, avez-vous déjà entendu parler des Diables ? »
– « Les Monstres des Enfers ? » demanda Tonnerre en levant les sourcils. « J’ai beaucoup entendu parler d’eux dans les épopées et les légendes. De courageux chevaliers tuaient ces ennemis terrifiants avec des lances trempées dans du sang de dragon. »
La Princesse soupira :
– « Cette fois, ces ennemis n’existent plus seulement dans les livres. »
– « Que voulez-vous dire ? »
– « J’ignore si les dragons existent, mais ces démons sont bien réels », dit Tilly qui lui raconta brièvement l’histoire de l’Union des Sorcières et de la Bataille de la Volonté Divine. « L’endroit où les Quatre Royaumes se sont implantés était autrefois la Terre Barbare. Si nous perdons à nouveau, les humains n’auront nulle part où se retirer. »
– « Comment est-ce possible ? » S’exclama Tonnerre après l’avoir écoutée silencieusement. « Vous dites que toutes les ruines découvertes en divers endroits sont l’œuvres de sorcières, et qu’une antique sorcière âgée de plus de 400 ans a été découverte à Border Town ? C’est incroyable. En un voyage, vous avez découvert plus de mystères que moi en une vie! »
– « Cela ne vous fait pas peur ? » Demanda Tilly, surprise.
– « Peur ? Bien sûr que si… » dit-il, tout excité, « mais cette peur n’est rien comparée au désir brûlant d’exploration qui habite mon cœur! Bon sang, je voudrais pouvoir me rendre au Royaume de Graycastle pour voir ce fossile vivant de mes propres yeux! »
La Princesse était abasourdie : ainsi, son désir de se rendre dans la Région de l’Ouest était motivé par l’envie de voir Ayesha et non sa propre fille. Elle pensa à Foudre, ne sachant plus si elle devait rire ou pleurer.
– « Sans ma récente expédition, je devrais certainement vous décerner le titre de plus grande exploratrice des Fjords », déclara Tonnerre après une série d’exclamations, « cependant… j’ai moi aussi découvert quelque chose d’assez incroyable. »
– « Dites, je vous en prie. »
– « Je suis retourné à l’est de la Crête de Mer »
– « La Crête de Mer ? » Demanda Tilly, confuse. « Qu’est-ce que c’est ? »
– « Pardon, j’oubliais que vous étiez déjà à Border Town la dernière fois que je suis revenu », dit-il en se caressant la nuque. « C’est une falaise faite d’eau de mer qui divise la mer en deux, mais les bateaux peuvent la franchir librement, un peu comme des araignées qui escaladent un mur. »
– « Comment ? Mais c’est impossible! »
– « J’ai eu la même réaction que vous la première fois que je l’ai vue, mais la Crête de Mer existe » dit Tonnerre avec une grande fierté. « Le plus incroyable, c’est qu’avec le «”Courage”, j’ai gravi cette crête et eu la chance d’assister à la marée montante. Il faut le voir pour croire! C’était majestueux! Le début de l’eau de mer s’accélère pour finir par se précipiter comme du haut d’une falaise. Si le Serviteur Magique de Molly n’avait pas protégé le bateau, le Courage se serait brisé en deux ! »
« J’ai tourné le gouvernail pour diriger la proue directement vers le courant, ce qui formait un équilibre délicat avec le vent : le Courage ne pouvait plus avancer mais il ne pouvait pas non plus être renversé par le courant », raconta-t-il, haletant comme s’il revivait ce moment excitant. « Bien entendu, la Crête de Mer n’est pas une véritable falaise. Nous savons tous à quoi ressemble une chute d’eau, lorsque l’eau tombe à pic avec un grondement sourd et que des gouttelettes éclaboussent partout. Mais là-bas, il n’y avait rien de tout ceci, à l’exception de cette accélération du courant. Je suis certain que même si le Courage avait dégringolé le long de la Crête de Mer, il serait revenu du côté où l’eau est la plus basse, tout comme lorsqu’ il a grimpé. »
– « Que s’est-il passé ensuite ? » demanda Tilly, impatiente.
– « Et puis la Mer Tourbillonnante s’est comme remplie. Je ne pouvais le voir qu’en me tenant au sommet de la Crête de Mer », murmura Tonnerre. « Par les Trois Dieux, je n’ai pas de mots pour décrire ma stupéfaction lorsque cela s’est produit : lorsque la mer est montée, la hauteur de la Crête de Mer, initialement de deux cent mètres, n’était plus que de cent. Voilà ce qu’est en vérité une marée! »