La tempête s’éloigna aussi vite qu’elle était venue.
Deux jours plus tard, toutes les personnes qui devaient quitter l’ïle Dormante partirent à bord de la ײJolie Dameײ qui devait les emmener à Graycastle.
Sylvie s’appuya contre la rambarde du navire, sortit une tranche de bœuf séché d’une poche, la tint au-dessus de sa tête et la secoua.
– « Goo… Goo… »
Une énorme mouette qui volait à leurs côtés en pépiant descendit brusquement du ciel. L’air qu’elle déplaçait en battant des ailes obligea la jeune femme à plisser les yeux. La viande qu’elle tenait à la main fut avalée d’un trait et lorsqu’elle leva les yeux, la mouette s’était envolée à l’avant du voilier pour continuer à les guider avec empressement à travers cet immense océan.
Maggie le lui avait demandé car lorsqu’elle se transformait en oiseau, il n’y avait aucun moyen pour elle de prendre la viande toute seule.
Même si le corps qu’elle avait pris ne différait en rien d’avec celui d’une mouette ordinaire (à l’exception de la taille), Sylvie pouvait voir la magie monter en elle et également la voir telle qu’elle était vraiment. Et si elle regardait plus attentivement, la sorcière pouvait même voir la magie venir de toutes les directions pour finalement se rassembler en un point unique avant de disparaître complètement.
– « J’ai entendu qu’elle n’avait pas seulement le pouvoir de se transformer en différents types d’oiseaux mais qu’elle recevait également les capacités correspondante. »
Quelqu’un derrière elle fit claquer sa langue, étonné. « Pour autant que je sache, les mouettes ne se perdent en mer. Elles sont également averties à l’avance lorsqu’une tempête se prépare. »
– « C’est vrai, monsieur le Capitaine », répondit Sylvie. Elle n’avait pas besoin de se retourner pour savoir qui était l’homme qui venait d’arriver. « Sans elle, nous n’aurions pas osé choisir une nouvelle route et contourner le Cap Sans Fin pour rallier le sud-ouest de Graycastle. »
Non seulement sa capacité lui permettait d’observer le flux de la magie et d’en déceler toutes les modifications mais elle lui conférait également un vaste champ de vision sans aucune faille. Elle avait ainsi le pouvoir d’observer tout ce qui l’entourait en permanence, en ignorant les obstacles qui, dans des conditions normales, auraient bloqué sa ligne de mire. Sa capacité était si puissante qu’elle parvenait même à voir les marins paresseux qui dormaient sous le pont ainsi que le banc de poissons qui nageaient sous la cale.
– « Y a-t-il des ports là-bas ? », demanda le capitaine Jack en soufflant sa fumée. « Je me souviens qu’autrefois, des explorateurs ont voyagé à l’ouest du Cap Sans Fin, mais il n’y ont trouvé que des falaises et des hauts fonds. Il n’y avait rien d’autre. »
« Il vaut mieux qu’il n’y ait rien là-bas », répondit Sylvie, indifférente. « Ainsi, tous reprendront immédiatement l’ancienne route. »
– « Cela n’est-il pas la même chose que de chasser les oies sauvages ? » Le capitaine secoua sa pipe : « J’ai le sentiment que je vais voir quelque chose qui sort de l’ordinaire sur cette nouvelle route. »
Cette fois, Dame Tilly avait personnellement organisé ce long voyage de manière à ce qu’elles puissent entrer en contact avec un groupe de sorcières qui demeurait ailleurs et ainsi s’entraider. En plus des cinq sorcières choisies, Cendres et Molly étaient également présentes sur le bateau. Les deux jeunes femmes n’envisageaient pas de rester à terre, elles étaient simplement venues pour s’assurer que ce voyage à bord du voilier était absolument sûr. Le serviteur magique de Molly était en mesure d’aider le vaisseau à résister à toute tempête éventuelle. Cendres, quant à elle, s’assurerait que tous les pirates qui oseraient jeter leur dévolu sur leur vaisseau et qui décidaient de s’en approcher n’en repartiraient jamais.
Cependant, Sylvie avait une autre mission : celle d’identifier, pour Dame Tilly, celui qui se faisait passer pour Roland Wimbledon.
Avant le voyage, la Princesse lui avait fait un compte rendu détaillé de l’histoire et lui avait indiqué comment elle était censée répondre en fonction du résultat. En termes simples, elle devrait faire de son mieux pour parvenir à un accord avec le chef de l’Association de Coopération des Sorcières, en échange du véritable corps de Roland. Mais en toute honnêteté, Sylvie était convaincue que cette mission ne lui serait pas facile. Si jamais l’Association n’était pas d’accord et décidait de la mettre en prison avec ses quatre compagnes pour les empêcher de divulguer les informations, que ferait-elle ?
Sylvie soupira en regardant à travers les murs de la cabine. Lotus, Evelyn et le reste du groupe jouaient joyeusement avec le serviteur magique.
« J’espère que les sorcières de l’Association sont aussi amicales que Maggie l’a dit »
…
Elles naviguaient sur la mer depuis près d’une semaine lorsque Sylvie aperçut les côtes de Graycastle.
– « Nous arriverons bientôt », s’écria Honey en se penchant par-dessus la rambarde du navire. Les nuées d’hirondelles, de balbuzards et de mouettes qui se tenaient à ses côtés joignirent à ses cris leur chœur bruyant.
– « Enfin… », dit Chandelle d’une voix douce, la mine défaite. « Je me sens presque incapable de continuer. »
« Mon enfant, ce phénomène n’est que temporaire. Lorsque vous serez à terre, vous retrouverez très vite vos forces », répondit Jack en riant. Il jeta un œil à travers le miroir d’observation. : « J’ai navigué durant des d’années mais jamais je n’ai vu quelqu’un mourir à cause des secousses d’un bateau. »
« Où est Maggie ? », demanda Honey.
– Elle est partie devant jusqu’à Border Town afin de contacter les sorcières de l’Association », répondit Cendres. « Je suis certaine qu’elles ne vont pas tarder à envoyer quelqu’un vous chercher. »
– « Vous ne venez pas avec nous, Sœur Cendres ? »
– « De retour à l’Île Dormante, Tilly aura encore plus besoin de mon aide », répondit Cendres en riant. « Ne vous inquiétez pas, les sorcières de l’Association vous verront et vous traiteront comme des sœurs… Si jamais vous aviez des problèmes, allez immédiatement voir Wendy. A coup sûr, elle fera de son mieux pour résoudre votre souci. »
Wendy… Sylvie grava silencieusement ce nom dans son esprit.
« Ah, c’est vrai, il y a autre chose », s’écria Cendres en se frappant le front : « Restez le plus loin possible de Roland Wimbledon. En aucun cas vous ne devez-vous trouvez seules avec lui. »
– « Pourquoi ? N’est-il pas le frère aîné de Dame Tilly ? », Demanda Evelyn perplexe.
– « Sans doute », répondit gravement Cendres, « mais cela ne l’empêche pas de tâter les fesses des sorcières! »
Effrayées, toutes inhalèrent une grande bouffée d’air froid.
Finalement, le navire vint s’amarrer à un demi-mile de la zone d’eaux peu profondes. Il n’existait pas de cartes détaillées de la région et personne ne connaissait vraiment la profondeur des eaux aux abords du haut-fond. Cependant, il était assez facile de se rendre sur la terre ferme, nul besoin d’utiliser le bateau de plage. Molly demanda à son serviteur magique de les envelopper toutes les six. Elles flottèrent ainsi sur la surface de l’eau jusqu’au rivage.
Apparemment, le haut-fond faisait partie de la montagne et, sous l’érosion continue de l’eau, il s’était lentement transformé en une plage douce et sablonneuse. Non loin d’elles se dressait une chaîne de montagnes imposante qui séparait la côte de Graycastle du reste du continent. Visiblement, la crête de la montagne n’avait pas de fin et plus elles regardaient vers l’Ouest, plus elle s’élevait pour atteindre le ciel. A l’extrémité de leur champ de vision, elle était presque similaire aux sommets géants de la Chaîne des Montagnes Infranchissables.
Au bout de près d’une heure d’attente, Sylvie aperçut une ombre étrange qui s’approchait.
Son volume était colossal. Elle était presque aussi énorme que la ײJolie Dameײ et, avec sa forme presque ronde, il était évident qu’il ne s’agissait pas d’une ombre naturelle.
On pouvait raisonnablement supposer qu’un objet aussi massif ne pouvait qu’être incroyablement lourd, mais sa trajectoire de vol était assez fluide, comme s’il flottait dans les airs. Les montagnes et les bois l’empêchaient de le voir nettement tandis que cette chose continuait de monter. Elle allait bientôt dépasser le sommet des montagnes.
Au bout d’un moment toutes les personnes qui se trouvaient sous l’abri purent enfin l’apercevoir.
– « Mon Dieu, qu’est-ce que c’est ? », s’écria Lotus, incrédule, en regardant le ciel avec une expression étonnée.
– « Sœur Cendres, avez-vous déjà vu quelque chose de semblable ? », demanda Evelyn en lui prenant le bras.
– « Non… », répondit Cendres, apparemment surprises elle-aussi. « C’est la première fois. »
– « Il semblerait que ce soit la façon dont l’Association de Coopération des Sorcières à l’ intention de nous accueillir », soupira Sylvie.
Elle avait fini par apercevoir une nacelle accrochée sous l’énorme objet sphérique qui flottait dans le ciel. Maggie et une autre sorcière volaient respectivement de chaque côté du panier. Enfin, une longue toile jaune qui pendait dessous attira son attention. Elle portait en lettres gigantesques : “Bienvenue à Border Town.”