Relâchez cette Sorcière | Release that witch | 放开那个女巫
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Avec l’été, la flotte de Margaret arriva à Border Town.

Roland se rendit personnellement sur le quai afin d’accueillir la commerçante et de jeter en passant un coup d’œil sur les marchandises qu’elle avait amenées.

Les biens les plus précieux étaient les trois bateaux remplis de salpêtre. Pour l’heure, les réserves de poudre à canon étant pratiquement épuisées, même la Première Armée avait dû interrompre ses exercices de tir. Le Prince avait commencé à les équiper de révolvers, cependant, ils ne pouvaient s’entraîner qu’au rechargement, à l’entretien et au réapprovisionnement. Grâce à ce salpêtre, le tir allait enfin pouvoir reprendre.

Conformément à leur accord, elle avait également apporté deux navires de lingots de minerai, principalement du fer et du cuivre, ainsi que du vitriol vert. Il allait falloir deux ou trois jours rien que pour décharger toutes ces marchandises.

Roland proposa à Margaret d’inspecter les deux machines à vapeur qu’il avait exposées dans la cour, recouvertes comme à son habitude de satin rouge pour leur donner un air chic. En fait, en un mois, la Compagnie Industrielle de l’Ouest n’était parvenue à construire  qu’une seule machine. Par contre, les pièces bonnes pour la ferraille se comptaient par centaines. Pour cette raison, Roland avait demandé à Anna de corriger celles qui s’écartaient le moins du produit souhaité et de les assembler pour réaliser la seconde machine dans le temps imparti.

À la surprise de Roland, Margaret, cette fois, n’était pas venue seule. Plusieurs commerçants de la Cité du Roi l’accompagnaient.  

On organisa le déchargement des marchandises, puis Margaret et ses partenaires suivirent Roland au château où ils purent apprécier un déjeuner somptueux servi dans la salle de réception.

– « Votre Altesse, je vous présente Hogg, un vieil ami à moi. Il est propriétaire de l’une des plus grandes exploitations minières de la Cité du Roi. Lui c’est Gammon et voici Marlan », dit-elle en les désignant l’un après l’autre.  «  Ils appartiennent à la caravane de la Baie du Croissant de Lune. Comme ils étaient très intéressés par vos machines à vapeur, désiraient en savoir davantage à leur sujet et que de surcroît je les connais depuis de nombreuses années, j’ai décidé de les emmener avec moi afin de vous les présenter. J’aurais été bien embarrassée d’avoir à vendre ces machines moi-même. »

– « Votre Altesse, je vous présente mes respects », dit Hogg en bombant son gros ventre, le visage huileux : « Margaret m’a dit que cette machine pouvait remplacer la main-d’œuvre pour pomper rapidement l’eau et transporter du minerai hors de la mine. Elle au moins travaille toute la journée et n’a pas besoin de pause. Pourrais-je  la  voir  de mes propres yeux ? »

– « Bien sûr », répondit Roland.

Il but une gorgée de vin. Il avait eu bien du mal de se faire à son acidité, mais avec le temps, avait fini par s’y habituer. « Si vous voulez faire transporter du minerai, vous devrez également installer un système de rails. Après le déjeuner, je vous emmènerai à la mine du Versant Nord. Vous pourrez en juger par vous-même. »

– « Votre Altesse Royale, je suis également très curieux concernant tous les différents usages possibles que vous avez évoqués au sujet de cette machine. Est-il exact que si on l’installer sur un voilier, celui-ci sera capable d’avancer sans l’aide des voiles ? » demanda à son tour Marlan : « Le cas échéant, pensez-vous qu’elle aurait suffisamment de puissance pour déplacer un bateau de trois ou quatre mâts destiné aux trajets en mer ? J’ai bien peur que non. »

– « Sachez que les machines à vapeur sont comme des chevaux. Certaines sont très puissantes et d’autres moins, cela dépend du modèle. Il va de soi que le prix augmente en conséquence. Mais vous avez également la possibilité d’en installer trois ou quatre si vous trouvez que leur puissance est insuffisante », répondit Roland avec un sourire.

« Pour réaliser un bateau à vapeur, même si l’on partait du plus simple bateau à rames, il faudrait également installer un système complexe de transmission et de manutention. Dans tout le royaume de Graycastle, seule Border Town possède la technologie requise pour modifier un navire. Cependant, cette opération risquerait de coûter bien plus cher que la machine à vapeur elle-même », pensait-il.

– « Dans ce cas, la caravane de la Baie du Croissant de Lune souhaiterait elle-aussi vous commander quelques-unes de ces machines. »

Gammon fourra dans sa bouche un petit pain qui venait à peine de sortir du panier à vapeur : le jus était si chaud qu’il eut une grimace.

« Il est bien vrai que qui se ressemble s’assemble », se dit le Prince. Un riche aura toujours pour ami un autre riche. Ils n’ont même pas encore vu le produit qu’ils passent déjà commande,  comme si plusieurs milliers de Royals d’or ne représentaient rien pour eux. »

Il secoua la tête :

–  « Malheureusement, Border Town manque actuellement de main-d’œuvre. Construire une machine à vapeur est assez complexe, aussi je crains de ne pouvoir accepter d’autres commandes avant d’avoir achevé celle de Margaret. »

– « Je suis en mesure de vous fournir la main-d’œuvre nécessaire, Votre Altesse », dit Gammon en tapotant sa poitrine. « Des charpentiers, des forgerons et même des constructeurs de navires si nécessaire. Il y en a beaucoup sur mes quais qui seraient prêts à venir gratuitement! »

– « Pour qu’ils apprennent comment on les fabrique afin que vous puissiez lancer votre propre production ? » Interrompit Hogg.

– « Dix ans, votre Altesse », dit Gammon, les paumes vers le ciel. « Je suis prêt à les laisser travailler pour vous durant dix ans à la seule condition que la première machine à vapeur qu’ils construiront soit offerte à la Caravane de la Baie du Croissant de Lune. »

« Voici une offre plutôt attrayante », se dit Roland, « qui pourrait bien devenir par la suite une sorte de partenariat technologique. Nous fournirions la technologie avec un bénéfice non négligeable et eux non seulement obtiendraient au plus vite la machine à vapeur mais après une décennie, récupèreraient des travailleur qualifiés. Ainsi, le coût d’achat de la formation technologique compenserait le salaire des ouvriers. »

– « Rien ne presse », répondit le Prince en posant ses mains sur la table. « Nous prendrons le temps de discuter des détails après que vous ayez vu la machine. De plus, nous n’avons pas ici que des machines à vapeur. D’autres produits seraient peut-être susceptibles de vous intéresser, comme ceci par exemple. »

Il claqua des doigts et, sur son ordre, des gardes sortirent des objets d’un coffret de bois et les posèrent sur la table.

– « Ce sont les dernières créations de Border Town. Quel que soit le modèle que vous choisissez, tous sont d’excellente qualité pour un prix toujours raisonnable. Prenez cette simple tasse », dit Roland en désignant une tasse colorée : « C’est léger, agréable à l’œil, et pourtant pas aussi fragile qu’une coupe de cristal. Le motif décoratif peut également être personnalisé. En outre, comme elle ne s’humidifie pas au contact de l’eau, vous n’aurez aucune peine à la nettoyer. »  

– « Elle ne prend pas l’eau ? »

Margaret prit une tasse et l’examina attentivement.

– « Faites l’essai avec du vin », plaisanta le Prince. « Et lorsque vous aurez bu, vous pourrez faire semblant d’être ivre et la jeter par terre pour la briser. »

– « Ça alors! C’est excellent… Mais j’ai bien peur que vous ne puissiez garantir que chaque tasse sera de même qualité. »

Sans attendre, Hogg le bedonnant s’était versé une pleine tasse de vin qu’il jeta derrière son épaule : « Hey ! C’est vrai qu’elle est sèche! »

En réalité, il s’agissait simplement d’une tasse de bois ordinaire revêtue par Soraya d’une couche de peinture. Elle en avait elle-même créé le motif.

– « Cela n’entre pas en conflit avec l’utilisation des coupes de cristal. Celles-ci sont plutôt destinée à un banquet de cour, plus cérémonieux, tandis que mes coupes conviendraient mieux à l’usage personnel des jeunes filles de bonne famille », expliqua Roland : « Pour autant que je sache, elles aiment les couleurs vives et ne résistent pas aux jolis objets. »

– « Je le pense aussi », dit Margaret en hochant la tête. « De toute évidence, vous avez une grande expérience dans ce domaine. »

– « hmm hmm », toussota le Prince. « A présent, s’il vous plaît, regardez bien ceci. L’épaisseur de cette cuirasse est totalement uniforme. Le dos comme le devant sont en fer forgé. Je n’ai pas besoin de préciser qu’elle est bien plus légère que le plastron d’un chevalier. De plus, on peut l’enfiler seul. Après fermeture, elle ne laisse plus la moindre faille.  Elle conviendrait parfaitement aux gardes qui escortent les caravanes. Et surtout, elle est beaucoup moins chère qu’une armure classique. »

La présentation terminée, les marchands se mirent à chuchoter entre eux. Afin de leur laisser un peu d’intimité, Roland proposa de les laisser discuter tranquillement. Il quitta la pièce et prit un couloir latéral pour aller prendre l’air dans le jardin fleuri.

– « Votre Altesse, voilà seulement un mois que je suis partie et déjà, vous avez des tas de nouveautés! » dit Margaret qui l’avait suivi.

– « Vous ne discutez pas avec vos amis ? »

– « Non. Lorsque mes yeux se posent sur quelque chose, je n’ai pas besoin d’écouter les avis d’autres personnes. Lorsque la marchandise est bonne, que les autres soient conscients ou non de sa valeur m’est bien égal. »

Elle sourit et secoua la tête : « Notre caravane restera ici trois à quatre jours. Me permettriez-vous… de revoir Foudre ? »

– « Même si elle ne vous a pas reconnue, il semble qu’elle n’ait aucune aversion envers vous. Cela ne devrait donc pas poser problème. »

– « Merci », dit Margaret, reconnaissante.

– « Si vous restez quelques temps, sachez que dans trois jours, Border Town donnera sa première représentation théâtrale. Vous pourriez y assister. »

– « Vous avez réussi à construire un théâtre en un mois ? » S’exclama la commerçante, stupéfaite.

– « Non, bien évidemment. Le spectacle aura lieu en plein air, sur la place. A mon avis, cela vous changera beaucoup de ce à quoi vous êtes habituée. »

– « Sans hésiter! La considération ne remplace pas le respect, Votre Altesse, » répondit Margaret en s’inclinant bien bas, une main sur le cœur.

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