Les mitrailleuses anti-aériennes n’étant qu’une première étape dans l’amélioration des capacités de défense de la Cité Sans Hiver, le moyen le plus efficace de protéger l’espace aérien consisterait à mettre en place une force efficace.
À l’époque où l’Union dirigeait le monde des humains, des sorcières dotées du pouvoir de voler et quelques Extraordinaires, à l’aide de Pierres de Vol, étaient chargée de défendre le ciel.
Reconnues comme les plus puissantes guerrières de l’Union, elles bénéficiaient d’un statut supérieur à celui des autres sorcières de combat au sein de l’Armée Sacrée. Selon Pasha, tout au long de l’histoire de l’Union, les Trois Chefs avaient toujours été choisies parmi les anciens membres de cette troupe de défense aérienne.
Pour les gens ordinaires qui n’avaient aucun pouvoir magique et n’étaient pas en mesure d’utiliser les pierres, il suffirait de créer une sorte de machine capable de leur servir d’ailes. Débarrassés des contraintes de la gravité, ils pourraient ainsi s’envoler vers le ciel.
Si la Cité Sans Hiver voulait dominer le combat aérien, il lui faudrait constituer ses propres forces aériennes et pour atteindre cet objectif, Roland allait devoir concevoir des avions.
Ce ne serait pas chose facile dans la mesure où il lui faudrait résoudre simultanément plusieurs problèmes techniques. Par ailleurs, il ne s’y connaissait guère en matière d’avions et la complexité de la structure d’un biplan de la Première Guerre Mondiale suffisait à lui donner la migraine. S’il avait su se débrouiller avec les systèmes simplifiés de transmission d’énergie et de freinage pour créer son prototype de train, les gouvernes d’un avion, en revanche, dont la marge d’erreur tolérée était beaucoup plus faible, ne pouvaient être construites à la va vite. Comme, de surcroît, il n’avait jamais piloté d’avion, il était incapable de prédire si les dispositifs mécaniques qu’il allait concevoir fonctionneraient ou non.
Heureusement pour lui, il y avait une autre solution : le planeur.
Wendy, qui était en mesure d’évaluer avec précision la direction et la puissance du vent, pourrait lui servir de pilote d’essai. Foudre et Maggie pouvant assurer la sécurité de la sorcière, il pensait pouvoir rédiger un manuel de vol destiné au maniement des planeurs sans mettre en danger la vie de qui que ce soit.
– « Je comprends, Votre Majesté », dit soudain l’Astrologue en Chef, interrompant le cours de ses pensées. « L’Académie d’Arithmétique vous fabriquera l’outil de visée requis dans les meilleurs délais. »
– « Parfait », répondit Roland, ravi que l’homme ait si vite compris ses intentions.
Décidément, il avait pris une sage décision en demandant à toute l’Association d’Astrologie de venir s’installer dans la Région de l’Ouest!
Comme toute école de sages, l’Astrologie, tout comme l’Alchimie, nécessitait des compétences pratiques. Non contents d’être d’excellents mathématiciens, les astrologues étaient également très doués de leurs mains. Les forgerons ne sachant pas fabriquer de télescopes, ils les dessinaient et les assemblaient eux-mêmes.
Roland s’apprêtait à partir lorsqu’il eut l’impression que l’Astrologue en Chef avait quelque chose à lui demander.
– « Y a-t-il autre chose ? » Demanda-t-il.
Le savant s’éclaircit la voix :
– « Majesté, je ne comprends pas pourquoi le terme “Intermédiaire” figure sur la couverture du livre de “Géométrie Analytique” et sur tous les livres de mathématiques que vous m’avez donnés. »
Le Roi se mit à rire :
– « C’est tout ce que vous vouliez me demander ? »
– « Si c’est confidentiel, je vous prie de pardonner mon audace. »
À la différence de Kyle Sichi, Étoile Rayonnante avait toujours vécu dans la capitale et servi plusieurs Rois. Ses manières étaient donc irréprochables. Cependant, il suffisait de le regarder pour constater qu’il était aussi curieux que l’Alchimiste en Chef.
Roland eut un sourire à la pensée qu’il avait eu recours à la “Chimie Intermédiaire” pour convaincre Kyle de travailler pour la Cité Sans Hiver. Désireux de posséder ce livre, l’alchimiste était allé jusqu’à recruter des étudiants, donner des conférences et même jusqu’à accepter le poste de Ministre de l’Industrie Chimique. Cependant, le Roi n’aurait sans doute pas à réitérer cette ruse avec Étoile Rayonnante.
– « Tout simplement parce qu’il existe un livre intitulé “Mathématiques Supérieures” », expliqua-t-il. « Il ne s’agit plus seulement de géométrie ou d’arithmétique, mais d’une combinaison de toutes les théories mathématiques avancées. Si vous imaginez les livres Primaires et Intermédiaires que je vous ai remis comme le tronc d’un arbre, les mathématiques supérieures en seraient la cime. Si ce livre porte un nom différent, c’est parce qu’il est beaucoup plus difficile à comprendre. »
– « Et quel pourrait-il être ? »
– « Finies les Maths pour Débutants », répondit Roland en haussant les épaules.
L’Astrologue en Chef qui, de toute évidence, n’avait pas compris le sous-entendu, regarda fixement le Roi.
– « Votre Majesté… Jamais je ne renoncerai, dussé-je passer le reste de ma vie à saisir cette théorie! Auriez-vous la bonté de me montrer ? »
Roland, qui s’endormait régulièrement pendant les cours de mathématiques supérieures, se sentit un peu gêné devant la sincérité qui se reflétait sur le visage de l’érudit.
Il se racla la gorge et répondit :
– « Bien sûr. Sitôt que vous aurez terminé ce projet, vous pourrez venir le chercher au château. »
– « Très bien, Votre Majesté! » Répondit avec enthousiasme Étoile Rayonnante en pliant le genou.
Roland quitta l’Académie de Mathématiques et se rendit dans la cour arrière de la Montagne du Versant Nord.
En effet, outre les mitrailleuses anti-aériennes, il avait également l’intention de fabriquer des armes spéciales destinées aux Sorcières du Châtiment Divin.
Après plusieurs mois passés avec elle, il était désormais fermement convaincu du désir brûlant des survivantes de Taquila de faire des ravages parmi les Diables. Si la Cité Sans Hiver était contrainte de les combattre pour survivre, elles, par contre, désiraient plus que tout se venger. Depuis des siècles, ces ennemis, qui avaient tué leur proches et leurs amis, étaient la principale cause de leurs souffrances et le cauchemar dont elles aspiraient à être délivrées.
Convaincu qu’il serait dommage que ces puissantes guerrières n’aient à leur disposition que des épées et des lances, Roland, qui par ailleurs avait remarqué qu’elles étaient en mesure de se battre avec des armes jugées trop lourdes pour les soldats, envisageait de les équiper de puissantes armes à feu et d’en faire des unités de combat lourdes à haute mobilité.
Au départ, il envisageait de concevoir un Mark I portatif destiné aux Sorcières du Châtiment Divin. Elles pourraient transporter les munitions dans leur sac à dos et ainsi devenir des forteresses mobiles capables de transformer en gruyère tout Diable qui se trouverait sur leur passage.
Mais entre-temps, il avait changé d’avis.
Certaines mitrailleuses lourdes devant être converties en armes anti-aériennes, une variante du Mark I serait bientôt produite à grande échelle. Il fallait s’attendre à ce que dans un avenir proche, la consommation de balles atteigne une vitesse spectaculaire. Aussi, même s’il faisait fabriquer trois cents armes à feu pour les sorcières, jamais la chaine de production ne pourrait fournir suffisamment de munitions pour toutes ces armes et il n’obtiendrait pas l’effet recherché d’une forteresse ambulante.
Il lui fallait donc concevoir une arme simple et puissante, facile à entretenir et qui consommerait moins de balles.
Il prit donc une feuille de papier et esquissa rapidement les contours de la nouvelle arme, un fusil à grenaille à rechargement par emprunt de gaz dont le principal avantage résidait dans sa large portée et sa capacité à effectuer des tirs à longue distance en raison de calibre de 40 mm.
Automatique, il ne requérait pas particulièrement de précision de la part du tireur et pourrait s’avérer très utile en complément des fusils à barillet et à verrou pour éradiquer les ennemis qui auraient réussi à passer le blocus de l’artillerie. Il pourrait servir lors d’attaques surprises, le tireur pouvant, au cours d’une bataille, prendre l’initiative de s’approcher de la cible.
À en juger par les méthodes de combat adoptées des Diables lors de la seconde Bataille de la Divine Volonté, ceux-ci en étaient encore à l’ère des armes blanches et lors d’une rencontre directe, ils préféraient se battre à mains nues que de recourir à leurs lances.
Nul doute que dans le cadre d’un combat rapproché, les Sorcières du Châtiment Divin feraient vivre un véritable enfer à l’ennemi.
Cinq jours plus tard, Sylvie repérait de nouvelles Bêtes Volantes.
Cette fois, leur nombre avait doublé et douze d’entre elles, telles un nuage noir, volaient droit vers la Cité Sans Hiver.