À ces mots, Roland frissonna.
Une Bataille de la Divine Volonté dans le Monde des Rêves ? Mais pourquoi ?
Il regarda Garcia et vit qu’elle demeurait impassible : soit elle était au courant, soit cela ne la touchait pas.
N’ayant pas d’autre choix que de garder ses pensées pour lui, Roland, guidé par les lumières, suivit la foule en direction de la place.
Arrivé là, il aperçut de nombreux passages à la structure semblable à des nids d’abeille incrustés dans les imposantes parois rocheuses. Pour circuler depuis le sol ou entre les allées, les gens étaient contraints de prendre des ascenseurs sur rails et alors que sa vue s’était habituée à l’obscurité, Roland aperçut des dizaines d’ascenseurs qui montaient et descendaient telles des lucioles. On aurait dit une ville futuriste.
Mais même si cet endroit était magnifiquement conçu, il était vraiment peu pratique. S’il avait été construit dans le centre-ville, bien visible, tout aurait été parfait mais sous terre, qui pouvait le voir ? Par ailleurs, s’il survenait un incendie, une panne de courant ou toute autre urgence de ce genre, il serait assez difficile de fuir les lieux.
De plus, le fait que le quartier général de l’association ait été construit sous terre était déjà une aberration en soi, même si le but était d’empêcher d’éventuelles infiltrations ou de garder l’endroit secret.
À moins que l’Association Martialiste ait de l’argent à dépenser, il devait y avoir une autre explication.
Alors qu’ils empruntaient l’allée numéro 24, Roland réalisa que le sol sur lequel il se tenait était en réalité une échelle en mouvement. Il n’avait pas besoin de marcher pour avancer.
Une telle conception dans une structure souterraine était vraiment quelque chose de surprenant.
On aurait dit que Garcia devinait ses questions car elle lui dit en haussant les épaules :
– « Autrefois, cet endroit était une mine. Nous n’avons fait qu’utiliser les tunnels abandonnés pour construire tous les passages et les ascenseurs que vous voyez sur les murs. Cependant, certains ont été creusés récemment. En fait, cela dépend de la vitesse de l’Érosion. »
– « Parce que l’Érosion s’est produite dans la mine ? »
– « Pas exactement, mais pour le moment, considérez que c’est le cas. »
– « Si j’ai bien compris, l’Association a construit son quartier général sous terre pour empêcher l’Érosion de progresser ? »
– « Non », répondit Garcia en le regardant avec une expression étrange, « mais pour se protéger contre les Éveillés mal intentionnés. »
Consciente qu’il s’apprêtait à poser d’autres questions, elle lui dit :
– « Vous n’allez pas tarder à comprendre. »
Très vite, ils arrivèrent dans une autre pièce qui évoquait un amphithéâtre d’université. De toute évidence, les mesures de sécurités y étaient renforcées car tout autour de la salle se tenaient des martialistes aux tenues identiques qui regardaient passer les nouveaux arrivants, le visage impassible, sans même un signe de bienvenue.
« Les combattants ne sont-ils pas supposés être des gens simples et passionnés ? Étant donné leur attitude envers les nouveaux Éveillés, il n’est pas surprenant que les gens hésitent à les rejoindre », se dit Roland.
Lorsque tous eurent pris place, Lan monta sur l’estrade.
Sans un mot, elle leva un rideau, dévoilant le bas d’un immense coffre de verre.
Roland ne put s’empêcher de froncer les sourcils :
Un “cristal” d’un rouge sombre, qui semblait flotter à l’intérieur de la boîte, lui rappela le noyau magique de Taquila. Mais la Force de la Nature du Monde des Rêves ne présentait pas, comme le pouvoir magique, d’effets sans cesse différents. Par ailleurs, peu réaliste, ce cristal évoquait plutôt un mauvais échantillon de projection 3D. Pourtant, à voir l’expression sérieuse de Lan, il semblait évident qu’elle ne plaisantait pas.
– « Serait-ce… »
– « L’Érosion, en effet », répondit Garcia d’un ton grave. « Où plus exactement un “vide”. »
– « Que dites-vous ? » S’exclama Roland, stupéfait.
– « Ce que vous voyez sur scène n’en est qu’une infime partie », soupira-t-elle. « Notre monde est en train de se cribler de trous. C’est l’essence même de l’Érosion. »
– « Certains d’entre vous l’ont peut-être déjà deviné ou ressenti », dit Lan en balayant l’auditoire du regard. « Une force maléfique est entrée dans notre monde qui permet aux Déchus de se multiplier à une vitesse considérable, ce qui constitue une menace sérieuse pour la sécurité des Éveillés. Mais, sachez qu’en ce qui me concerne, cette notion est incorrecte. Ce n’est pas une force maléfique, mais plutôt… la superposition d’un autre monde. ».
À ces mots, le public se mit à crier :
– « Que voulez-vous dire ? Pourriez-vous préciser ? »
– « Un autre monde ? De quoi s’agit-il ? »
– « Depuis quand l’Association Martialiste est-elle devenue l’Académie des Sciences ? »
– « Alors que sont les Déchus ? Des extraterrestres ? »
Contrastant terriblement avec les vrais nouveaux arrivants, ceux qui étaient depuis longtemps éveillés à la Force de la Nature criaient particulièrement fort, sans aucun respect pour la Disciple en Chef.
– « Calmez-vous », dit Lan, impassible, « je répondrai à vos questions après la démonstration qui va suivre. »
Elle avait fini de parler que le coffre de verre se souleva lentement, exposant le “cristal”, puis trois perches suspendues, munies chacune d’une caméra, descendirent sur le podium tandis que le mur situé derrière Lan s’éclairait. Apparurent alors sur ce qui était en réalité un écran géant, trois images différentes, prises respectivement par les trois caméras.
Très vite, Roland se rendit compte d’une chose qui le laissa stupéfait : quel que soit l’angle de prise de vue, le cristal gardait la même apparence.
« Comment est-ce possible ? » Se demanda-t-il. « Il aurait fallu pour cela que ce soit une sphère parfaite! »
Un objet anguleux en rotation présentant des changements discontinus, chacune de ses faces aurait dû être visuellement différente des autres. Mais à sa grande surprise, les trois images étaient absolument identiques, comme s’il ne s’agissait pas d’un objet en mouvement mais plutôt d’une tache rouge sur l’écran que son cerveau identifia automatiquement comme une image virtuelle. C’était comme si le cristal en lui-même n’existait pas.
Mais Roland n’était pas au bout de ses surprises.
Lan prit la barre de fer que lui tendait un assistant et l’inséra directement dans le cristal rouge. Devant les yeux ébahis des spectateurs, celle-ci disparut littéralement au lieu de s’enfoncer dans l’ombre virtuelle. Sur l’écran, tous purent constater que les caméras restituaient fidèlement l’image de la barre de fer sur laquelle on apercevait nettement les angles et les traces de polissage. Mais la tache rouge sur les trois images restant la même, on aurait dit que trois barres de fer, prises sous trois angles différents, avaient été insérées précisément au même endroit dans le cristal.
Lan retira ensuite la barre de fer et tous purent constater qu’elle avait rétréci.
Le silence se fit dans la salle.
Puis, au bout d’un moment, quelqu’un demanda :
– « Puis-je m’approcher pour voir cela de près ? »
– « Faites, je vous en prie », acquiesça Lan.
L’homme monta sur le podium et regarda longuement le cristal rouge. Soudain, il poussa un cri et tendit la main : sa peau émettait une légère lueur argentée. De toute évidence, il faisait appel à la Force de la Nature, ce que peu de combattants étaient en mesure de faire.
Garcia avait un jour expliqué à Roland que les personnes capables de stimuler la force de cette manière s’apparentaient beaucoup aux Déchus, les armes habituelles ne pouvant rien contre elles. Pour maîtriser une telle compétence, il fallait soit être extrêmement talentueux, soit avoir risqué sa vie durant des années.
La puissance de ces gens dépassait de loin celle du martialiste moyen, ce qui expliquait sans doute leur arrogance.
Lan ne fit pas un geste pour l’arrêter.
Sa main pénétra dans le cristal sans rencontrer d’obstacle et disparut, tout comme la barre de fer. Soudain, il poussa un cri et retira sa main ensanglantée dont la moitié s’était comme désintégrée.
L’assistance en eut le souffle coupé.
Quant à Roland, il venait de comprendre ce que sous-entendait Garcia en lui disant :
« Vous pourriez même la toucher, mais je doute que vous ne souhaitiez le faire. »
En effet, tout ce qui entrait en contact avec cette chose cessait d’exister.
La victime ayant été emmenée par des martialistes pour être soignée, d’autres personnes se levèrent pour aller voir de plus près, ce que Lan leur permit. Mais elles se montrèrent beaucoup plus prudentes. Finalement, la Disciple en Chef fit en sorte que chacun, à tour de rôle, puisse observer de près cet incroyable phénomène.
Lorsque vint le tour de Roland, il prit un air décontracté et fit deux fois le tour du cristal.
Soudain, son cœur fit un bond : la lumière rouge qui ondulait dans le cristal lui rappelait étrangement celle qu’il avait vue dans le Royaume Divin!
Et cette lumière suspendue au-dessus de sa tête n’était autre que la Lune Sanglante.