– « Un Déchu! Fuyez! »
– « Il vient à peine de muter! Vite, vite! Appelez la police! »
– « À… à l’aide! Je me suis foulé la cheville. »
– « Attention! Il arrive! »
– « Aaaah! »
Roland sortit du restaurant et constata que l’établissement voisin était en pleine panique. Pressés de quitter les lieux, les clients s’amassaient dans le couloir menant à l’unique sortie tandis qu’à l’extérieur, les passants, ayant entendu dire qu’un Déchu venait de faire son apparition, prenaient la fuite. Certains tentèrent de filmer l’évènement à l’aide de leur téléphone portable. Seuls quelques volontaires, restés sur place, transportaient les personnes blessées et terrifiées afin de les éloigner du danger.
Phyllis eut un petit rot et, la mine réjouie, toucha son estomac plein :
– « Ne disiez-vous pas que cette époque était très sûre ? » Demanda-t-elle, aucunement perturbée par ce qui se passait à proximité.
– « Ne vous inquiétez pas, ce n’est qu’un accident », répondit Roland, un peu gêné.
Alors que tout ce qu’il voulait, c’était déjeuner à l’extérieur, ce cruel Monde des Rêves, indifférent à ses émotions, avait décidé de faire subir à son créateur une nouvelle attaque.
Par ailleurs, depuis quelques jours, il avait remarqué que le mot “Déchu” revenait fréquemment au cours du journal télévisé.
Etait-ce une illusion ? On aurait dit que ces derniers temps, de plus en plus de gens s’éveillaient aux Forces de la Nature, cependant la plupart devenaient des monstres incapables de se contrôler.
Les sourcils froncés, il se rappela soudain que, deux mois auparavant, Garcia avait fait allusion à “l’intrusion d’un monde extérieur.”
– « À quel ennemi avons-nous affaire ? » Demanda Phyllis. « Voulez-vous que je m’en occupe immédiatement ou préférez-vous que j’aille d’abord au parc récupérer Cléo ? »
Roland se souvenait encore de la première attaque à laquelle il avait dû faire face dans le Monde des Rêves. L’homme étrange au visage brûlé lui avait clairement fait entendre qu’il tentait de tendre un piège aux martialistes afin de les éliminer. Ceci étant, mieux valait ne pas prendre de risques.
Il jeta un œil en direction du parc, juste derrière lui, et répondit :
– « Elle est en sécurité là-bas. Allons d’abord nous occuper de ce monstre. »
De plus, il avait particulièrement apprécié l’étrange impression ressentie tandis que le Cyclone Magique du Déchu disparaissait entre ses mains. On aurait dit qu’une vague de chaleur montait dans son corps, accroissant sa puissance et son énergie.
– « Je pense qu’il s’agit d’un nouveau Déchu », expliqua-t-il. « Une sorte de bête démoniaque hybride, si vous préférez. Comme la Force de la Nature le protège de toutes les armes classiques, il va nous falloir faire appel à cette même force si nous voulons le vaincre. »
– « La Force de la Nature ? »
– « Oui, c’est ainsi que l’on appelle le pouvoir magique dans ce monde. Mais ici, il n’est pas réservé aux femmes. Regardez! »
Roland se pencha, ramassa une pierre, fit appel à l’énergie qui coulait dans son corps et… la pulvérisa.
– « Vous…. Vous faites désormais partie des Eveillés ? » S’exclama Phyllis, stupéfaite.
Roland hocha la tête, le visage impassible, mais au fond de lui, il se sentait fier d’avoir obtenu un tel pouvoir.
– « Hélas », expliqua-t-il, « mon pouvoir n’est efficace que dans le Monde des Rêves. »
Terriblement impressionnée, l’antique sorcière s’écria :
– « Décidément, que vous soyez dans ce monde ou dans l’autre, vous n’êtes vraiment pas quelqu’un de banal! »
– « Si nous voulons tuer ce monde, il va falloir l’attirer dans un endroit isolé », dit-il. « Il existe certainement des couloirs internes reliant ces deux restaurants au centre commercial qui se trouve juste derrière. Allons-y. »
Roland et Phyllis retournèrent au KFC et trouvèrent, en effet, une porte menant au centre commercial dans la zone réservée au personnel. De l’autre côté, comme il s’y attendait, c’était la panique, la puissante détonation ayant effrayé la plupart des clients.
Au lieu de se rendre au McDonald, où le Déchu s’était éveillé, il demanda à Phyllis de faire appel à ses Griffes Tranchantes et de libérer son pouvoir magique en plein centre commercial. S’il ne se trompait pas, le Déchu le percevrait et se mettrait activement à sa recherche. C’est de cette manière qu’il avait dupé l’homme au visage brûlé.
C’est alors qu’une puissante explosion retentit et la porte arrière du McDonald’s vola en éclats. Un homme sortit en rugissant de l’espace réservé au personnel, émergea de la fumée et se précipita vers Phyllis.
Le pouvoir miraculeux ayant considérablement amélioré la vision dynamique et la vitesse de réaction de Roland, il sut aussitôt à quoi l’adversaire ressemblait. Le Cyclone Magique émis par sa main gauche, beaucoup plus petit et plus sombre que celui de l’homme au visage brûlé, était la preuve de son récent éveil. Le courant chaud qui circulait dans son corps n’ayant subi aucune accélération significative, Roland n’était guère avide de posséder ce cyclone.
Tous deux avaient prévu de l’attirer dans le restaurant KFC. Mais l’homme tendit soudain le bras gauche vers Phyllis, paume ouverte.
En un instant, des ondes de choc visibles à l’œil nu se produisirent dans l’air et s’étendirent en direction de la sorcière de Taquila. Roland aurait pu échapper à l’explosion, cependant, étant donné que, dans ce monde, Phyllis n’habitait pas le puissant corps d’un Guerrier du Châtiment Divin, il préféra rester derrière elle pour la protéger. Lorsque l’explosion les projeta en direction des cuisines du KFC, il agrippa sa coéquipière et amortit le choc. Ils traversèrent la cloison faite de panneaux insonorisés et retombèrent lourdement sur le sol près du comptoir.
Couvert de poussière, Roland toussa puis essaya de bouger légèrement le bas de son dos. De toute évidence, sa capacité de résilience avait augmenté en même temps que sa force car à l’exception d’un engourdissement, tout semblait normal.
Cependant, il était surpris de la capacité de ce Déchu. Dans le monde réel, aucun hybride démoniaque ne possédait une telle compétence d’attaque, pas même l’homme au visage brûlé qu’il avait affronté dans cet univers et qui, pourtant, semblait beaucoup plus puissant.
Il regarda la sorcière, toujours dans ses bras :
– « Vous allez bien ? » Demanda-t-il.
– « Désolée… », répondit Phyllis en baissant la tête. « Je ne me suis pas montrée suffisamment prudente, mais faites-moi confiance, ce combat sera bientôt terminé. »
Sur ce, elle se releva lentement. Le T-shirt à manches courtes qu’elle portait était déchiré en plusieurs endroits et l’une de ses griffes dorsales brisée. De toute évidence, elle avait voulu les utiliser comme bouclier pour se protéger de l’explosion.
C’est alors que le Déchu entra, la respiration lourde. En apercevant la sorcière, il eut un sourire mauvais et tendit à nouveau le bras vers elle :
– « Votre heure est venue, martialiste! »
Il n’avait pas remarqué la griffe brisée, à ses pieds, qui contenait toujours de la vie. Celle-ci bondit soudain du sol et le frappa au cou.
Il y eut un léger éclat lumineux et le sourire cruel se figea. La tête du Déchu glissa lentement sur le côté et heurta le sol comme un sac de chiffons tandis que le sang fusait de son cou.
La griffe brisée lui trancha avec précision le bras gauche et Phyllis récupéra le Cyclone Magique avant que le corps sans tête ne s’effondre sur le sol.
– « Si l’une de mes griffes, même brisée, se trouve à moins de 10 pas, je peux encore la contrôler », expliqua la sorcière. « C’est d’autant plus dangereux pour mes ennemis dans la mesure où, la plupart ne s’attendant pas à la voir bouger, rares sont ceux qui parviennent à esquiver cette frappe mortelle. » Puis, tendant à Roland le vortex rouge, elle demanda : « Est-ce là la Force de la Nature dont vous m’avez parlé ? »
– « Oui. Ne trouvez-vous pas qu’il ressemble à vos Cyclones Magiques ? »
Dès l’instant où il avait quitté le corps du Déchu, le vortex avait cessé de tourner et avait pris l’apparence d’une gemme brillante. Mais lorsqu’il le prit dans la main de Phyllis, celui-ci se remit à tourner à toute vitesse et prit une teinte bleu pâle avant de se transformer en un faisceau de lumière éblouissant. Il traversa le toit et disparut progressivement dans les airs tel un mince fil d’argent.
Le courant chaud qui bouillonnait dans le corps de Roland se calma peu à peu et il éprouva un profond sentiment de satisfaction.