Une heure plus tard, Roland découvrit enfin ce qui s’était passé pendant qu’il était dans le coma.
Sans aucun doute, l’Église avait été durement touchée car presque tous les soldats de l’Armée Du Châtiment Divin avaient été éradiqués et la moitié de ceux de l’Armée des Juges étaient morts sur le champ de bataille. Sur plus de deux mille ennemis qui avaient réussi à s’enfuir, la plupart avaient pris la Pilule de Folie et n’allaient pas tarder à se corroder en raison du pouvoir magique.
Plus important encore, le Pape avait disparu et la quasi-totalité des commandants supérieurs étaient morts au combat. Après cette bataille, la Cité Sainte ne pourrait plus se permettre d’envahir la frontière du Royaume de Graycastle. Elle allait même avoir beaucoup de difficulté à survivre aux Mois des Démons qui approchaient.
Mais la Première Armée aussi avait subi de lourdes pertes, principalement causées par l’attaque soudaine de la sorcière Voile Noir. Tous les soldats qui avaient croisé son regard et ne portaient pas la Pierre du Châtiment Divin avaient, dans une certaine mesure, été affectés. Sur sept cent victimes, 80% étaient dues à elle.
La chute de Roland avait aussi grandement ébranlé le moral de l’armée.
Étant donné les circonstances, Hache-de-Fer avait dû ordonner le retrait des troupes.
Heureusement que l’Hôtel de Ville fonctionnait parfaitement. Grâce aux efforts conjugués de tous, tout s’était passé au mieux. On avait averti le peuple que Sa Majesté avait été blessée au combat et était tenue de rester alitée. Hache-de-Fer et Barov s’étaient également occupé des funérailles des soldats de la Première Armée tués au combat.
Le récit des sorcières suscita l’intérêt de Roland pour les Purifiées capturées.
– « Vous dites qu’elles ne sont guère attachées à l’Église ? » Demanda-t-il en se tournant vers Ayesha, « Et que cette sorcière nommée Isabella est prête à nous aider à combattre les Diables ? »
– « Ni Vanille ni Marge n’ont été élevées par l’Archevêque, elles ont simplement été choisies au sein du cloître pour accomplir cette tâche, ce que Rossignol m’a confirmé », répondit Ayesha. « Ce qui est étrange, c’est qu’Isabella ne se soucie pas de savoir qui elle sert, l’essentiel pour elle étant de venir à bout des Diables. Elle m’a dit qu’elle tenait cette façon de penser du dernier Pape. »
– « Qu’en pensez-vous ? »
– « Je suggère de garder Isabella pour le moment. »
– « Mais c’est une Purifiée élevée par l’Église! En tant que telle, elle est notre ennemie! » Dit Sophia en fronçant les sourcils. « Sans elle, jamais cette Cléo n’aurait pu blesser Sa Majesté. »
– « Pour autant que je sache, Wendy a aussi été élevée par l’Église. »
– « Peut-être, mais elle est différente. Jamais elle n’aurait utilisé son pouvoir pour blesser qui que ce soit. »
– « Isabella non plus n’a pas directement blessé de sorcières. Sa capacité ne fonctionne que sur la Pierre du Châtiment Divin et il est rare que les sorcières en portent », réfuta Ayesha. « Par ailleurs, Rossignol a bien confirmé qu’elle ne mentait pas. »
– « Est-ce exact ? » Demanda Roland en tournant la tête de l’autre côté du lit.
Au bout d’un long moment, il entendit un “oui” réticent.
– « Le plus important est sa capacité », reprit Ayesha. « Isabella m’a expliqué que tout trou noir formé par la Pierre du Châtiment Divin avait sa propre vibration. Elle est en mesure de créer une vibration opposées pour annuler les effets de la pierre. Peut-être est-ce la clé qui nous permettra de percer les secrets de la Supermagie. Je la soupçonne même d’en être elle-même dotée. Si nous parvenons à comprendre le lien qui existe entre la Pierre du Châtiment Divin et le pouvoir magique, les autres sorcières pourront faire de même. »
À ces mots, l’assistance, stupéfaite en eut le souffle coupé.
Pour la plupart d’entre elles, la Pierre du Châtiment Divin était une entrave dont elles ne pouvaient se débarrasser et à cause de laquelle elles avaient été soumise à l’oppression et l’exil, impuissantes face à l’Église et aux nobles.
Pensif, Roland caressa son menton. « Le fait de créer une vibration pour en annuler une autre repose essentiellement sur le même principe que l’onde. Cela voudrait-il dire que le pouvoir magique se propage de la même manière qu’une onde ? »
– « Dans ce cas, laissez-la de côté », dit-il après un moment de réflexion. « Je verrai ce que je dois en faire une fois que je l’aurai vue. »
De toute évidence, les sorcières n’étaient pas les seules habitantes de la Cité Sans Hiver à s’inquiéter pour lui. Dans l’après-midi, Barov, Hache-de-Fer, Karl et d’autres hauts fonctionnaires, qui avaient appris la nouvelle, se présentèrent l’un après l’autre au château. Après avoir vu Roland, tous parurent soulagés, en particulier Barov qui le serra dans ses bras en sanglotant.
Étant donné qu’il venait de se réveiller, il préféra bavarder avec eux pour les apaiser plutôt que de s’attarder sur les affaires politiques. Sa longue absence ayant grandement inquiété les initiés de la ville, le plus important pour le moment était de leur remonter le moral et d’informer le peuple que leur Roi avait était rétabli.
Dans la soirée, une somptueuse réception eut lieu au château. Presque tous les fonctionnaires de l’Hôtel de Ville et de la Première Armée étaient présents. Le monde était tel qu’on avait dû placer des tables chargées de nourriture jusque dans la cour.
De plus, Roland avait ordonné que l’on envoie des chariots chargés de gruau d’avoine bien chaud sur la place afin que tous les citoyens puissent participer à cette fête.
Après le dîner, Roland retourna dans sa chambre.
– « Rossignol ? » Appela-t-il doucement.
Personne ne répondit
– « Rossignol », répéta-t-il. « Je sais que vous êtes là. »
Toujours pas de réponse.
Roland soupira, se retourna, sortit, fit deux pas et tendit la main. La sorcière était là, devant lui.
Elle sortit de sa Brume et allait s’agenouiller lorsqu’ il la retint. De toute évidence, il avait gagné en force.
Mais ce n’était pas important. Roland lui lança un regard sévère et, avant même qu’elle n’ait pu ouvrir la bouche, lui dit :
– « Je sais très bien que vous culpabilisez. Ce n’est en rien votre faute, de plus, je vais bien à présent. Cessez de vous jeter la pierre, m’entendez-vous ? »
– « Ayesha me l’a rappelé, mais je… Ah, Votre Majesté! »
Sans hésiter, Roland la prit dans ses bras.
Pour la première fois.
Le jeune Roi avait préparé des paroles de réconfort mais au moment de parler, il changea d’avis.
Il savait ce dont elle avait vraiment besoin.
Avant que l’ombre de Cléo ne l’atteigne, Rossignol l’avait poussé, au mépris de sa propre sécurité. Il revoyait encore le moment où elle s’était placée devant lui pour le protéger, prête à se sacrifier. Venant d’une femme comme elle, à quoi devait-il s’attendre ?
– « Attendez-moi », murmura Roland. « Je vais arranger ça. »
– « Quoi donc ? »
Il ne répondit pas, mais il savait que Rossignol avait compris. Son souffle légèrement avide en était la meilleure preuve.
Le silence cachait souvent une blessure invisible.
Comme il ne pouvait pas l’ignorer, il allait devoir en assumer la responsabilité.
Même si la route promettait d’être épineuse.
Peu à peu, il sentit Rossignol se détendre dans ses bras. Son anxiété enfin soulagée, elle retrouva un regard déterminé.
Face à une personne vulnérable, une promesse suffisait. Ainsi, l’attente ne serait pas vaine.
– « Dans ce cas, je vais attendre », dit-elle en pleurant.
Cependant, ce n’étaient plus des larmes de tristesse.
Humides et chaudes, elles remplissaient le cœur de Roland de détermination.
La sorcière partie, il s’endormit profondément.
Mais lorsqu’il rouvrit les yeux, il aperçut à nouveau ce plafond blanc.
« Eh bien! …Encore cet horrible rêve! »
Comme il savait comment en sortir, cette fois, il demeura calme.
Roland frotta l’arrière de sa tête encore douloureux et sortit de la chambre. La fille aux cheveux blancs sortait de la cuisine, des assiettes à la main.
– « Enfin réveillé », dit-elle en fronçant les sourcils. « Avez-vous perdu la tête hier, mon oncle ? »