De retour au château, Roland se tourna vers Ayesha :
– « Vous seriez-vous souvenue de quelque chose ? »
– « Je ne sais pas grand-chose de l’Armée du Châtiment Divin, qui n’a probablement été mise au point qu’après la chute définitive de Taquila », répondit-elle en secouant la tête. « Cependant… je ne pense pas que les choses soient aussi simples que ne le prétend ce Prêtre. Par ailleurs, cela n’explique pas comment un Pape peut transmettre à son successeur nouvellement couronné le contrôle de cette armée. »
« En outre, il est plutôt étrange que les soldats qui ne sont plus sous contrôle se dirigent directement vers les Terres Barbares », poursuivit-elle. « Si la région que vous appelez ainsi correspond aux Plaines Fertiles d’il y a quatre cents ans, il n’y a rien là-bas à l’exception des ruines de la Ville Sainte. De là à dire qu’ils ont été séduits par les démons… »
– « Qui sait », répondit Roland, désinvolte. « Vous avez vu qu’ils avaient le sang bleu, aussi ne font-ils pas partie de la même espèce que nous. »
Pour tout dire, ce qui avait bien pu attirer là-bas les Guerriers du Châtiment Divin ne l’intéressait guère. Le plus important pour lui, dans l’immédiat, était de découvrir leur talon d’Achille et de trouver comment se prémunir efficacement en cas d’assaut contre les lignes de front. Il ressortait de la précédente vague d’attaque à la lance qu’en l’absence de fortifications, l’Armée du Châtiment Divin représentait une menace non négligeable.
« Si vraiment ils sont vulnérables au bruit, la capacité d’Echo pourrait peut-être… »
– « Je n’approuve pas cette idée », interrompit aussitôt la sorcière. « C’est beaucoup trop risqué. »
– « Je reconnais qu’il est assez dangereux de tenter d’approcher leur commandant, cependant nous pourrions… »
– « Je ne parlais pas d’Écho », coupa Ayesha, « mais de vous. »
– « Moi ? » S’exclama Roland, surpris.
– « Si Echo doit se faufiler jusqu’au commandant, elle aura besoin de la Brume de Rossignol, ce qui, durant ce temps, vous laisserait sans protection. Il suffirait à l’Église d’envoyer une Purifiée dotée de capacités spéciales et vous seriez facilement tué », répondit-elle sans hésiter. « Même si vous n’êtes qu’une personne normale avec ce que cela implique de faiblesse et de manque de moyens, vous nous êtes indispensable si nous voulons venir à bout des Diables, c’est pourquoi votre protection est une priorité. Nous ne devons pas prendre de risques. »
– « Venant de vous, je ne saurais dire s’il s’agit d’un compliment ou d’une critique », dit Roland avec un rire amer. « Le moment venu, je porterai une Pierre du Châtiment Divin. »
– « Cette pierre n’est qu’une protection et non une barrière de sécurité absolue », répondit sans ménagement Ayesha. « Rossignol elle-même n’est pas totalement infaillible, cependant, nous n’avons pas de meilleure solution. »
À ces mots, Rossignol ne put s’empêcher de se montrer. De toute évidence, elle n’avait pas bien pris les paroles d’Ayesha.
– « Il n’arrivera rien à Sa Majesté tant que je suis en vie », déclara-t-elle.
– « Je l’espère », répondit l’antique sorcière sans chercher à la contredire.
Elle s’apprêtait à quitter le bureau lorsque soudain, elle s’arrêta net.
– « Que se passe-t-il ? » Demanda Roland.
Ayesha garda un moment le silence avant de répondre :
– « Je ne sais pas si je fais bien de vous en parler… Mis à part son immense pouvoir, la raison pour laquelle Dame Alice est devenue Reine de la Cité des Météores et Chef des Trois Dirigeantes de l’Union, est son intelligence et ses méthodes bien supérieures à celles de la plupart des sorcières. À plusieurs reprises, ses décisions ont sauvé l’Union de l’effondrement et sans elle, jamais Taquila n’aurait survécu jusque-là. On raconte que si elle était née avant la Première Bataille de la Divine Volonté, elle aurait eu tôt fait de mettre fin à cette guerre sans espoir. »
– « Qu’essayez-vous de me dire ? »
La sorcière tourna la tête et fronça légèrement les sourcils :
– « Ce que je veux dire, c’est que les puissants guerriers dans lesquels elle avait mis tous ses espoirs de sauver les sorcières n’auraient jamais été ainsi. »
– « Vous avez donc l’impression que cette Armée du Châtiment Divin n’est pas celle que vous aviez conçue il y a quatre cents ans ? » Demanda Roland, surpris.
– « Ces guerriers ne craignent pas le pouvoir magique, ils ne paniquent jamais et sont extrêmement puissants. Si, en effet, ils semblent avoir l’avantage sur les Diables, ils ne seront jamais en mesure de faire suffisamment la différence pour mettre fin à la guerre. Où qu’ils aillent, ils ont besoin d’un commandant et sont incapables d’effectuer des attaques à longue distance. À mon avis, jamais Dame Alice n’aurait misé sur ce genre de guerriers », soupira Ayesha. « Mais ce ne sont là que pures spéculations de ma part. Seule l’Église sait ce qui est réellement arrivé à l’Union après la chute de Taquila. »
Longtemps après son départ, Roland était toujours englué dans ses pensées.
Il fallait admettre que ce qu’avait dit Ayesha était tout à fait censé. Était-il vraiment possible que le projet de créer une Armée du Châtiment Divin, qui avait coûté à la Reine de la Cité des Météores de si grands sacrifices, n’ait servi qu’à produire une machine à tuer coûteuse et encombrante ?
Il s’apprêtait à sortir du château pour prendre l’air lorsque soudain, le Sceau d’Écoute que portait Rossignol retentit.
– « Ici Foudre. Je me trouve actuellement dans le nord-ouest, au-dessus de la Crête du Vent Glacé. Je viens de voir l’ennemi battre en retraite. Je répète : l’ennemi bat en retraite! »
– « Comment ?! »
– « Ils sont tous en train de fuir vers la Cité Sainte, Goo! » Renchérit Maggie.
– « Je vois », dit Roland qui appela aussitôt un garde : « Allez chercher Hache-de-Fer, Edith, le Duc Calvin et tous les membres de l’État-major et dites-leur de se présenter immédiatement au château pour une réunion. »
« Aucun doute possible, c’est une bonne nouvelle », pensait-il, enthousiaste.
Jamais il n’aurait imaginé que l’armée de l’Eglise abandonnerait la Crête du Vent Glacé pour se réfugier sur les hauts plateaux d’Hermès. Il allait ainsi avoir une chance d’évacuer les habitants de la ville avant qu’elle ne soit reprise par la Cité Sainte.
– « Ils ont peur », dit Rossignol en riant.
– « C’est possible, mais leur retraite laisse également supposer qu’à court terme, l’Eglise n’est pas en mesure d’envoyer des renforts », répondit Roland. Il se caressa le menton : « Nous ne nous étions pas trompés : ce contingent de plus de mille personnes n’était probablement qu’une troupe d’avant-garde dont l’Eglise a pris l’initiative à la dernière minute. S’ils ne se décident pas à passer à l’attaque, je ne sais vraiment plus que faire. »
En décidant de cette tactique, il était, sous un certain aspect, résolu à renoncer à la Crête du Vent Glacé qui était beaucoup trop proche d’Hermès. Aussi fut-il terriblement soulagé d’apprendre qu’il allait au moins pouvoir empêcher les citadins de devenir victimes de la Pilule de Folie.
Les personnes convoquées se réunirent rapidement dans la salle de réception. Roland leur fit part des informations reçues de Foudre et jeta un coup d’œil à la ronde :
– « Avez-vous des questions ? »
– « Votre Majesté, pourquoi ne faites-vous pas garder la Crête du Vent Glacé ? » Demanda le Duc Calvin, perplexe. « Cette ville a une position stratégique et il n’y a qu’un seul chemin qui mène à la Cité Sainte. Ne serait-ce pas plus judicieux que de stationner au pied de la montagne ? »
– « En apparence seulement. En réalité, la ville est entourée de montagnes sur trois côtés et celles-ci sont plus hautes qu’elle. L’ennemi n’a besoin que d’une corde pour infiltrer notre ligne de défense », répondit Roland en haussant les épaules. « Nous avons étudié la question en détails à la Cité Sans Hiver. En cas de besoin, Edith pourra vous donner de plus amples explications. Quelqu’un d’autre ? »
Voyant que personne ne se manifestait, il ordonna :
« Dans ce cas, la campagne d’évacuation sera menée par la Première Armée. Nous laisserons sur place les réserves de céréales et l’argent dans la mesure où notre seule préoccupation concerne les résidents. Utilisez la force s’il le faut, mais je ne veux plus voir une seule personne à la Crêt du Vent Glacé. N’oubliez pas que les nobles locaux sont plus persuasifs, je pense en particulier à la célèbre Perle de la région du Nord. » Sur ces paroles, il marqua une légère pause. « Hache-de-Fer, Edith, je vous laisse vous en charger. »
– « Entendu! »
– « À vos ordres, Votre Majesté. »
– « Quant à l’État-Major », dit-il en jetant un coup d’œil au Comte Eltek et aux autres conseillers, « Vous aurez pour mission d’aider le Duc de la Région du Nord à prendre des dispositions pour les personnes évacuées. J’entends par là le calcul du nombre de personnes, l’enregistrement de leur identité, la nourriture et l’hébergement. »
– « Bien, Votre Majesté », répondirent simultanément les personnes présentes.
– « Excellent! Dans ce cas, au travail! » S’exclama Roland en frappant du plat de la main sur la table.