– « Je me souviens qu’il y a un mois, je vous avais demandé de fermer au plus vite toutes les routes menant au Royaume de Wolfheart. Pourquoi les réfugiés affluent-ils toujours autant ? » demanda ironiquement la sorcière voilée de noir. « Et vos chevaliers ? Ils devraient déjà être arrivés à la frontière ».
– « Vous savez pertinemment que les réfugiés sont très nombreux », répondit Alban en serrant les poings. « Si nous leur interdisions de passer la frontière, la plupart d’entre eux mourraient de faim. Il n’y a pas de villes à proximité, aucun endroit où s’approvisionner en nourriture. S’ils font demi-tour, il leur faudra au moins une semaine pour retourner à la Ville des Terres Sauvages et ils… »
– « En quoi cela vous concerne-t-il ? », coupa la sorcière, impatiente. « S’ils souffrent de faim ou de soif, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. Ces gens ont abandonné leur royaume et vous, vous feriez mieux de vous préoccuper de votre père. À moins que vous ne souhaitiez mettre fin à notre accord ? »
« Abandonné leur royaume ? C’est ridicule! » Pensa Otto, soudain furieux. « Ce sont de gens comme cette sorcière au voile noir qui leur ont déclaré la guerre et contraint à fuir. »
Lorsqu’il entendit parler de rompre leur accord, Alban eut vraiment l’air d’hésiter, après quoi il répondit :
– « Toutes les routes seront fermées d’ici une semaine. J’espère que vous êtes satisfaite. Mais si jamais ils passaient la frontière en coupant par les terres sauvages ou les crêtes montagneuses, ce ne sera plus mon problème. »
– « Il est évident que je ne vais pas vous demander l’impossible ! »
La sorcière prit la fiole de porcelaine et mit dans sa bouche une petite gorgée d’élixir. Puis elle se dirigea vers le lit et se pencha pour l’administrer au Roi. Cachés derrière la cheminée, Otto et Orian qui la regardaient, ne virent pas ce qu’elle faisait. Relevant la tête elle dit à Alban : « Le Roi de l’Aube reprendra conscience dans une heure, comme d’habitude. »
– « Faut-il absolument que vous lui administriez l’élixir avec votre bouche ? »
– « Oui, sinon il n’aura aucun effet », répondit-elle en haussant les épaules. « Si vous respectez notre accord, soyez tranquille car le Roi sera bientôt totalement rétabli. Sa santé sera peut-être même meilleure qu’elle ne l’a jamais été. »
– « Nous reviendrons lorsque la frontière sera complètement fermée », dit à son tour la femme aux cheveux blonds en souriant. « Votre Altesse, ne décevez pas Sa Sainteté. »
Elles s’apprêtaient à partir lorsque soudain, Alban demanda :
– « Vous êtes des sorcières, n’est-ce pas ?
Les deux femmes s’arrêtèrent brusquement.
– « Si l’élixir ne peut être administré que par vous et de cette façon, c’est bien à cause de votre pouvoir magique. Je ne vois pas d’autre explication à cela », dit-il calmement. « Même si la présence de sorcières au sein de l’Eglise est inconcevable, vous n’agissez pas différemment des démons. »
– « Pensez-vous vraiment ce que vous dites ? »
– « Sortez! » S’écria le Prince.
Le paroles d’Alban avaient effrayé Otto et Orian mais soudain, ils virent sortir de l’armoire et de dessous le lit des gardes royaux en armure légère. En un rien de temps, les Purifiées furent encerclée.
– « Oh! » S’exclama la blonde avec un sifflement admiratif. « Votre témérité est remarquable! »
– « Et insensée », ajouta la sorcière voilée de noir. « De toute évidence, l’Eglise ne vous impressionne guère. »
– « Cessez cette comédie! » Rugit Alban. « Certes, vos miraculeux guerriers sont incroyablement puissants, cependant ils ne sont pas ici. Dans ce Palais, nous avons des Pierres du Châtiment Divin à revendre! Pensez-vous avoir une seule chance de vous échapper ? »
– « Un instant », dit la blonde en pinçant ses lèvres. « Ne serait-ce pas vous qui avez envoyé la sorcière que nous avons rencontrées en chemin ? »
– « Ce n’étaient pas une vraie sorcière. C’est une combine empruntée aux Rats », répondit Alban d’un ton cassant. On aurait dit que sa colère, trop longtemps contenue, allait enfin se déchaîner. « Une poignée de Pierres de Feu et nous verrons à quel point vous êtes puissantes! Sans la protection des Guerriers du Châtiment Divin, les sorcières sont-elles vraiment différentes du commun des mortels ? Il n’est pas trop tard pour demander grâce. Si vous ne voulez pas que nous vous brisions les bras et les jambes, que nous vous arrachions les dents et vous transformions en théière à remède, faites ce que je vous dis et remettez-moi l’élixir! »
– « Cette dame sera très fâchée de savoir que vous avez tenu ces propos », soupira-t-elle. « À votre place, jeune homme, je ne remettrais pas en cause l’existence des sorcières ni ne rirais de leurs pouvoirs. Vous feriez mieux de faire en sorte qu’elle ne vous revoie plus car vous risqueriez d’avoir à le regretter. »
– « Comment ?! » S’écria le Prince dont l’attitude humiliante des Purifiées ne faisait qu’exacerber la colère. « Nous verrons bien si votre entêtement persiste lorsque vous serez en prison! Gardes, emmenez-les! »
Otto colla son visage contre la dalle dans l’espoir d’en voir davantage mais aussitôt, il se raidit, ne pouvant croire ce qu’il voyait.
Avant-même que les gardes n’aient pu mettre la main sur la Purifiée, ils retournèrent leurs lames contre eux et se tranchèrent la gorge.
En un éclair, des flots de sang jaillirent partout dans la pièce, l’imprégnant de son odeur tandis que sans un mot, les gardes s’effondraient sur le sol.
Devant cette scène atroce, Alban tremblait comme une feuille. Son assurance et sa colère se dissipèrent instantanément tandis que sous l’effet de la peur, il mouillait son pantalon.
– « Laissez-le partir », dit la sorcière aux cheveux blonds. « Nous avons encore besoin de lui. »
– « Il fallait que je lui donne une petite leçon », répondit la seconde en claquant des doigts.
Comme s’il sortait d’un rêve, le Prince s’assit sur le sol et se balança d’avant en arrière en tremblant.
– « Ne vous inquiétez pas, vous êtes toujours en vie », dit-elle d’un ton sarcastique. « Mais la prochaine fois, vous pourriez ne pas avoir autant de chance. »
– « Pou… pourquoi ? Comment ? Ici, nous…. nous avons la Pierre du Châtiment Divin », bégaya Alban. « Comment les sorcières pourraient-elles… »
– « Parce que nous sommes des Purifiées », répondit la sorcière blonde. « Pourquoi refusez-vous de vous conformer à notre accord ? Votre père retrouverait la santé et l’existence du Royaume de l’Aube serait prolongée. Vous pourrez continuer d’en faire partie et ce même lorsque l’Eglise aura vaincu le Royaume de Graycastle. Même si votre royaume est régi par l’Église, vous continuerez à mener une vie aisée et vos sujets n’auront plus à redouter la guerre. Pensez-vous qu’il soit dans votre intérêt d’agir aussi stupidement ? »
« Par ailleurs, pensez à faire nettoyer la chambre car votre père ne va pas tarder à se réveiller. Je doute que vous vouliez qu’il soit confronté à un spectacle aussi sanglant », ajouta-t-elle en quittant la pièce.
Otto sentit une sueur froide lui couler dans le dos. Rien qu’à l’idée que les Purifiées ne craignaient pas la Pierre du Châtiment Divin et que l’Eglise planifiait de prendre le contrôle des Royaumes de l’Aube et de Graycastle, son sang se glaça. Sa Majesté Roland avait raison! L’Église misait sur les Quatre Royaumes.
Lorsque le Roi se réveilla, le tapis ensanglanté avait été recouvert de tissus et Alban était seul dans la chambre.
Cuillère après cuillère, il fit manger à son père un peu de bouillie d’avoine. Misra IV, qui semblait avoir oublié sa maladie, parlait de façon décousue des affaires politique et familiales, comme aux jours heureux.
Cette scène était si étrange qu’Otto osait à peine respirer.
Tous deux attendirent le crépuscule pour quitter le passage secret.
– « Que faire ? » Demanda Orian d’un ton effrayé, lui qui, jusqu’ici, s’était toujours montré imperturbable.
– « Tout raconter au Comte Quinn… et à nos parents », répondit Otto en serrant les dents. « Cette affaire dépasse nos compétences. »
– « Mais vous avez bien vu que la Pierre du Châtiment Divin n’avait aucun effet sur la Purifiée ! Quand même nous en informerions nos familles et le Comte, que pourraient-ils y faire ? »
– « Je connais quelqu’un qui le pourrait, répondit calmement Otto en regardant son ami. « Allons trouver l’Ambassadeur de Graycastle et demandons lui d’envoyer un message à Sa Majesté Roland Wimbledon! ».