Alors qu’elle suivait Roland dans son bureau, Rossignol murmura :
– « Je n’ai pas réussi à vous protéger… »
– « Détrompez-vous, vous avez bien agi », répondit Roland en secouant la tête. « Réfléchissez, pourquoi Shio, l’assassin, a-t-il choisi précisément la salle de réunion ? Il savait que je suis protégé par une sorcière extrêmement puissante : s’il ne trouvait pas un moyen de la duper, il n’aurait aucune chance. Plus il devait s’organiser, plus son attaque devenait faible. Finalement, il n’a pu m’attaquer qu’avec un minuscule poignard. »
– « Mais il a bien failli réussir. »
– « On ne peut pas dire qu’il a réussi étant donné qu’il ne m’a pas tué. Par ailleurs, votre présence a contribué à restreindre cette possibilité », répondit Roland en riant. « Qu’aurait-il fait si je ne vous avais pas ? Il aurait attendu patiemment l’opportunité de me porter un coup fatal et à partir du moment où il avait accès au château, c’était une possibilité. Ceci prouve que vous m’avez très bien protégé au contraire. Pour tout dire, plus le territoire sera sûr, plus je serai en sécurité. »
« Ces paroles ne me consolent guère… » songea Rossignol. « Son Altesse semble le croire sincèrement. » Elle sentit une vague de chaleur traverser son corps et ses remords lancinants s’apaisèrent considérablement.
– « Entendu, mais cette fois, ne laissez pas Foudre et Maggie s’en tirer comme ça! »
– « Ah ? Et qu’on-t-elles fait ? »
– « En mon absence, elles étaient supposées rester à vos côtés pour vous protéger contre d’éventuels ennemis! » Souligna Rossignol. « Au cours des évènements qui viennent de se produire, jamais l’assassin n’aurait pu vous atteindre si Foudre avait été là pour vous emporter dans les airs. »
– « Elle est juste un peu vive… »
– « Ce n’est pas une excuse! Si Wendy et Sophia étaient ici, elles seraient certainement d’accord avec moi : si nous ne faisons pas en sorte que Foudre et Maggie comprennent leur erreur, la prochaine fois, les choses pourraient bien tourner mal! »
Le prince se caressa le menton et réfléchit un court moment.
– « J’ai compris. Pour leur punition, je vais leur interdire de sortir jusqu’à ce qu’elles aient terminé trois séries d’exercices complets de Mathématiques, Physique et Chimie. Qu’en pensez-vous ? »
Rossignol inhala une bouffée d’air froid. « Des exercices complets… les mathématiques, ça va, mais la physique et la chimie sont encore plus effrayantes que les principes naturels de base : la première page suffit à vous endormir, en particulier ces étranges formules et schémas qui rappellent les incantations dans les légendes. »
Si elle-même avait eu à faire ces exercices, jamais plus elle n’aurait pu sortir. Cependant, comme cette suggestion venait d’elle, la sorcière estima qu’il serait inconvenant de revenir dessus. Durcissant son cœur, elle regarda Roland et acquiesça :
– « Parfait. Ainsi, elles réfléchiront à leur erreur. »
La réunion de l’après-midi se déroula sans encombre. Rossignol demeura aux côtés de Roland et veilla sur lui jusqu’à la tombée de la nuit. Finalement, la structure globale et la première équipe de candidats pour l’Hôtel de Ville annexe furent décidés.
Petrov Hull fut nommé Directeur Général du district de Longsong. Non seulement il aurait la charge de superviser l’Hôtel de Ville mais serait également Ministre des Finances tandis que son père, le Comte Hull, occuperait le poste de Ministre de la Construction. Nul doute que cette fois, Petrov était l’un des plus grands gagnants parmi les nobles de la Forteresse. Rossignol elle-même eut le souffle coupé en entendant cette décision. En effet, Son Altesse n’avait pas incriminé la famille Chèvrefeuille pour cette tentative d’assassinat. Pour un Seigneur, cela pourrait être considéré comme une merveilleuse expression d’équité et de clémence.
Les autres ministères seraient dirigés par plusieurs personnalités remarquables parmi la noblesse inférieure. Ces gens, d’anciens barons ou chevaliers, n’étaient en principe pas qualifiés pour exercer dans les hautes sphères du gouvernement. Particulièrement touchés par la décision de Son Altesse de supprimer les critères restrictifs, tous exprimèrent avec enthousiasme leur désir de le servir pour le reste de leur vie.
Bien qu’ils parussent sincères, Rossignol était certaine que si la situation venait à changer, si Timothée ou l’Église prenaient possession de la Région de l’Ouest, il y avait de fortes chances pour que ces gens oublient rapidement leurs serments.
Avant de lever la séance, Son Altesse insista à plusieurs reprises sur deux principes concernant l’emploi : les effectifs de chaque famille pourraient être employés au sein des ministères, mais dans une proportion n’excédant pas 30% et à condition d’avoir préalablement soumis leurs dossiers à l’Hôtel de Ville. Par ailleurs, que la main-d’œuvre familiale soit utilisée ou non, tous les salaires seraient payés par la municipalité et tout chef de ministère qui garderait l’argent serait sévèrement puni.
Rossignol, que ces détails n’intéressaient absolument pas, bailla à plusieurs reprises. Soudain, elle aperçut Maggie qui rentrait au château, la Comtesse Sephora sur son dos, et son moral remonta aussitôt.
Après le dîner, un groupe de personnes suivit le Comte de Elk jusqu’au domicile de Shio : c’était un bungalow ordinaire situé dans le quartier du château. L’intérieur était extrêmement propre. Apparemment, Shio était bien préparé et avait détruit toutes les preuves éventuelles avant de passer à l’acte.
– « Shio passait ses journées au château. Tout ce qui nous intéresse dans cette reconstruction est de savoir ce qu’il faisait la nuit », dit le Prince à Assia. « Je dois découvrir tout ce qu’il a fait ici, de sa première rencontre avec le patrouilleur Mans jusqu’à ce jour. Toute activité ayant pu avoir lieu dans cette maison est importante. »
La Comtesse Sephora invoqua son pouvoir magique pour connecter Maggie à Assia.
Forte de cette abondance temporaire de magie, la jeune sorcière entreprit de reconstituer en détail chaque nuit. Shio parut revenir à la vie. Parfois, il était assis devant la cheminée, plongé dans une profonde réflexion et parfois il écrivait quelque chose sur une feuille de papier. Soraya enregistrait des yeux chacun de ces actes.
Le quatrième jour, il s’assit comme d’habitude près de la cheminée, mais cette fois il avait un emblème dans les mains.
– « Un instant… j’ai l’impression d’avoir déjà vu ceci », dit Roland, surpris. « Pourriez-vous me le dessiner ? »
Sous sa plume magique, l’emblème prit rapidement forme sur le papier. Il faisait à peu près la taille d’un pouce et se composait d’une gemme taillé et polie en forme de bouton. Sur chaque face étaient représentés des symboles identiques : une tour et une lance. L’emblème de la famille Royale!
– « Se pourrait-il que cet homme soit au service de Timothy ? » Demanda Rossignol.
Roland fronça les sourcils et sembla réfléchir longuement, puis, secouant faiblement la tête, il répondit :
– « Non, il s’agit d’un souvenir du Roi Wimbledon III. »
– « Vous voulez dire… de votre père ? » demanda René, totalement surpris.
Petrov, lui aussi, était stupéfait :
– « Le roi n’a-t-il pas… par votre frère aîné, le prince Gerald… »
– « Lorsque j’étais petit, j’ai vu cet emblème sur le bureau de mon père et je lui ai demandé ce que c’était : il m’a répondu que chaque joyau représentait un guerrier loyal à la famille royale, et que plus il y avait de gemmes, plus le trône était stable. » Le Prince poussa alors un profond soupir : « Il semblerait que Shio était un pion placé par mon père aux côtés du Duc Ryan pour l’aider à surveiller le développement et les mouvements de toute la Région de l’Ouest. »
– « Dans ce cas, pourquoi vouloir vous tuer ? » S’enquit René.
– « Timothy a très probablement trouvé la liste des pierres précieuses et ordonné l’assassinat à ces guerriers. L’emblème signifie que tout ordre, quel qu’il soit, doit être exécuté. »
– « C’est pourquoi… »
Rossignol jeta un coup d’œil à la scène reconstituée : l’assassin observa longuement l’emblème avant de jeter la gemme dans la cheminée. Son visage semblait à la fois un peu triste et comme légèrement soulagé. De toute évidence, aux yeux de Shio, l’ordre représentait une forme de liberté.
Bien qu’ayant compris le motif de cet attentat, Roland ne semblait pas pour autant soulagé. Le visage sombre, il fixa longuement les étincelles dans la cheminée.
Tard dans la nuit, tandis qu’Assia dormait, Rossignol se glissa discrètement dans la chambre de Roland.
Depuis que la jeune femme avait été admonestée par Wendy, plus jamais elle ne l’avait fait… jusqu’à ce jour. Depuis la tentative d’assassinat, les émotions ne cessaient de se bousculer en elle et sans la présence de Wendy et d’Anna, elle se sentait un peu plus libre.
Le Prince étant profondément endormi, la sorcière sortit de la brume, s’approcha doucement du lit, se pencha et embrassa Roland sur le front.
« Désolée, Votre Altesse, je ne peux pas me contrôler. »