Après deux semaines passées à la Forteresse, Roland reprit enfin le chemin du retour.
Maintenant qu’il avait éliminé d’une main de fer les quatre familles nobles et Rats des rues, il pouvait entamer une réforme complète de la Forteresse de Longsong. Des mesures de secours et de réinstallation bien ordonnées étaient en cours. Même si l’argent et les provisions saisis sur les terres des familles Erable, Wolf et Eglantine n’étaient pas aussi abondants que chez le Duc Ryan, le montant en était tout de même impressionnant. C’est ce qui lui avait permis d’étendre sans hésitation son programme de secours à toute la ville et de promouvoir avec succès sa politique durant la distribution du porridge.
Le jour de son départ, la Seconde Armée avait atteint son objectif qui était de recruter 500 personnes et la police comptait environ 200 nouveaux membres. Roland laissa la moitié de ses soldats, ainsi que Vader, à la Forteresse afin qu’ils assurent la défense et l’ordre et entraînent les nouvelles recrues pour en faire des soldats efficaces.
Le temps qui lui était imparti pour mettre en œuvre sa politique était limité. S’il ne parvenait pas à faciliter la communication directe entre le peuple et l’Hôtel de Ville et n’affirmait pas très vite son autorité, l’ancien pouvoir en place profiterait de cette faille pour revenir en force. Comme disait le dicton, il ne pouvait y avoir de construction sans destruction. La phase destructive étant achevée, le moment était venu de construire et de faire prospérer la Forteresse.
La confiance de Roland reposait sur Border Town dont la population comptait plus de 30 000 personnes avec plus de la moitié qui bénéficiaient d’une instruction élémentaire. Cela équivalait aux effectifs de deux collèges modernes, mais pour l’époque, c’était un chiffre impressionnant. De surcroît, cet enseignement élémentaire, outre l’alphabétisation, comprenait également des connaissances de base en sciences et en politique ainsi qu’un sens universel du patriotisme.
L’augmentation du taux d’alphabétisation lui fournirait suffisamment de main-d’œuvre pour opérer ces changements. En outre, le sentiment de patriotisme conférerait à ces civils ignorants et dociles un pouvoir inimaginable. Chacun de ses sujets était une petite étincelle et un jour, ils enflammeraient le pays tout entier.
La nuit tombait lorsque Roland aperçut Border Town.
– « Regardez… qu’est-ce que c’est ? » S’écria un aristocrate derrière lui.
– « Un… pont ? » Suggéra une autre personne en tendant le cou. « Mon Dieu, qu’il est long! »
– « C’est impossible! Comment un pont aussi long pourrait-il tenir par seulement deux piliers ? »
– « Un instant… On dirait bien qu’il est en acier! »
Sur le chemin du retour, en plus des sorcières, des douzaines de nobles de rang inférieur accompagnaient Roland sur son bateau. Comme ils n’avaient pas participé à la rébellion, ceux-ci avaient été épargnés lors de l’opération de nettoyage.
Roland entendait apprendre à ces aristocrates à gérer un Hôtel de Ville de façon hiérarchique. Lorsque la construction de la ville serait officiellement lancée, ils retournaient à Forteresse et aidaient Petrov à mener à bien l’installation de l’Hôtel de Ville annexe. Ils lui feraient également part de ses directives. Leurs privilèges féodaux perdus, les nobles chercheraient à progresser : ils ne pourraient compter que sur leurs propres compétences.
Au moment où la flotte franchissait le pont d’acier, Roland entendit derrière lui la respiration entrecoupée des nobles, stupéfaits. Tous retenaient leur souffle et regardaient fixement le pont qui s’étirait sur toute la largeur de la rivière.
Le Prince ne put s’empêcher de rire de ces gens qui n’avaient cessé de s’exclamer depuis qu’ils étaient montés à bord. D’abord, surpris qu’un bateau en pierre puisse flotter sur l’eau, ils s’étaient extasiés devant les roues à aubes et la machine à vapeur qui crachait une fumée blanche. « Dommage que le projet des Trois Approvisionnements de la ville ne soit pas terminé », pensa-t-il, « ils se seraient décroché la mâchoire en voyant le pouvoir des ampoules électriques. »
Les bateaux accostèrent lentement avec un sifflement aigu. Barov, Carter et quelques fonctionnaires de l’Hôtel de Ville qui avaient été informés par un pigeon voyageur attendaient au bord de la rivière. En apercevant Roland, ils tirèrent des coups de canons de fête et l’accueillirent avec un cérémonial digne d’un roi.
Roland sourit et tapota les épaules des deux hommes, après quoi il emmena Barov vers les nobles de la Forteresse et fit les présentations.
– « Je vous charge d’organiser le logement, la vie et l’instruction de ces personnes », dit-il à son Ministre. « Ne vous préoccupez pas de leurs identités ni de leurs titres, ce sont tout au plus des barons. Il y a toutes sortes de gens dans les mines et tous doivent travailler pour mener une vie honnête. Formez-les comme vous formeriez de nouveaux diplômés. Je veux voir les résultats aussi vite que possible. »
– « Bien, votre Altesse. »
Lorsque Roland arriva au château, toutes les sorcières qui avaient appris son retour attendaient dans le hall. Avant même qu’il n’ait eu le temps de sentir les effets du système de chauffage en passant la porte, un corps chaud se jeta dans ses bras. Il sentit l’odeur familière de ses cheveux et lui caressa la tête en souriant.
– « Me voici de retour », dit le Prince.
– « Eh bien », répondit Anna en levant la tête, ses yeux bleus pétillants de joie : « Voilà longtemps que je vous attends. »
– « Moi aussi! »
– « Et moi aussi, Goo! »
Bientôt, Roland sentit un poids supplémentaire peser sur chacun de ses bras… Il n’eut pas besoin de regarder pour deviner qu’il s’agissait de Foudre et Maggie, car nul autre n’aurait osé s’immiscer entre Anna et lui.
– « Hé, toutes les deux, vous vous jetez carrément sur lui », grommela Lune Mystérieuse.
– « Ouais », railla Lily. « Elles n’ont même pas honte! »
– « Je suis heureuse de vous revoir sain et sauf », dit doucement Wendy.
– « Nous devrions fêter votre retour ce soir », suggéra Sophia.
– « Oh oui! Je veux du pain à la crème glacée! » S’écria Andrea. « Grâce aux parts de Cendres et de Shavi, je sens que je vais me régaler ce soir! »
Tilly arriva la dernière.
Elle lui tendit la main et, l’air de rien, lui dit :
– « Vous avez fait un long voyage. »
Roland sourit et saisit sa main tendue :
– « Je vous remercie de vous en inquiéter »
Après un copieux dîner, Roland retourna à son bureau et prit une profonde inspiration. Même si le château de la Forteresse était beaucoup plus grand, cette petite pièce était bien plus confortable.
Il s’apprêtait à trier les livres qu’il avait rapportés de la Forteresse lorsqu’ Anna entra dans la pièce.
– « Vous arrivez juste à temps », dit Roland en désignant les livres empilés sur le tapis. « Regardez, ces cadeaux sont pour vous : ce sont principalement des documents historiques et des contes légendaires. Il y a aussi des histoires secrètes de la région de l’Ouest. Je les ai pris dans la bibliothèque du Duc Ryan. »
Il n’avait pas terminé de parler que des lèvres douces se posèrent sur les siennes.
Elles étaient parfumées, passionnées, chaudes et humides.
« Vous m’avez vraiment manqué », dit Anna en accentuant chaque mot. Elle s’écarta de Roland et le regarda profondément dans les yeux.
Roland sentit une sensation de chaleur envahir son cœur.
– « Ce livre… »
– « Je le lirai plus tard. »
– « Voilà une excellente idée. »
Tous deux fusionnèrent dans un baiser.