Avant même que l’intendant n’ait quitté la propriété de la famille Eltek, un oiseau apporta à Roland une lettre de la Seconde Armée basée à la Forteresse.
Une heure plus tard, l’appel à l’aide de Petrov arrivait lui-aussi au château.
Le pigeon voyageur ne pouvant apporter que de très courts messages, Roland fut contraint de recouper les deux. Ce qu’il découvrit le stupéfia :
Les quatre familles de la Région de l’Ouest s’étaient rebellées!
« Bon sang, qui a bien pu leur donner suffisamment d’assurance pour conspirer contre moi sous mon nez ? »
Aussitôt, le Prince convoqua Carter et Hache-de-Fer et leur montra les messages.
– « Votre Altesse, est-ce… »
– « Cela vient de la Forteresse », répondit Roland, furieux.
L’hiver touchait à sa fin et dans trois jours, une nouvelle année commencerait. Non seulement il avait encore à régler différents détails concernant la future Cité mais le projet des Trois Approvisionnements nécessitait également des instructions. « Ces nobles ont choisi le mauvais moment. Ils sont sans doute pressés de mourir! »
À en croire les messages, les nobles du centre-ville avaient amené un groupe d’écuyers à attaquer les gardes. Au moment-même où les sentinelles qui arpentaient les remparts réalisaient que quelque chose n’était pas normal, le pont-levis de la Porte Nord tombait aux mains de l’ennemi. Les sentinelles ne purent qu’allumer les balises de détresse et compter sur les murs pour maintenir leurs positions
Lorsque les membres de la Seconde Armée aperçurent les balises, ils se conformèrent au protocole d’intervention d’urgence et répartirent les 50 soldats qui formaient les dix troupes du camp en deux pelotons. L’un d’eux se dirigea vers la porte nord tandis que le second prenait la direction du château. Petrov avait envoyé son message après que le second peloton, en affrontant l’ennemi, se soit aperçu que ceux-ci combattaient la noblesse locale.
– « Petrov Hull nous informe que les assaillants du château portaient les bannières des quatre familles. Cette rébellion était donc planifiée », dit Carter après avoir pris connaissance des messages. « Pour que les quatre familles se soient liguées, il faut qu’il y ait un meneur. »
Effectivement, les quatre, ou cinq familles si l’on incluait celle du duc Ryan, étaient sur un pied d’égalité et constituaient la haute noblesse. Pour qu’ils mettent de côté leurs préjugés et décident de coopérer, il y avait de grandes chances pour qu’une force supérieure les y ait incités. Sans quoi ces Comtes, qui passaient leur temps à s’observer les uns les autres, auraient mis des années avant de décider de qui serait leur chef.
Pour l’heure, il ne voyait qu’une ou deux personnes qui puissent s’intéresser de si près aux affaires de la Région de l’Ouest.
– « Vous croyez que… Timothy…? » Demanda Hache-de-Fer au Chevalier en Chef.
En sa qualité de membre du clan Mojin, originaire du Peuple des Sables, il était beaucoup moins sensible que Carter à la situation politique du Royaume de Graycastle.
– « Je ne serais pas surpris que l’Eglise soit derrière tout ça », dit Roland. « Si j’en juge par leurs actes à la Crête du Dragon Déchu, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne s’en prennent à la Région de l’Ouest. »
– « Le problème est que dans la seconde lettre, Petrov nous met en garde : il se pourrait que nos ennemis possèdent des armes à feu », souligna Carter. « Auraient-ils découvert la formule de la poudre à canon ? »
– « L’Eglise, comme Timothy, connaissent la poudre de neige, cependant, ils ont encore un long chemin à parcourir avant de savoir vraiment l’utiliser », dit le Prince en donnant une légère tape sur la table. « Ce qui m’intrigue, c’est que Border Town est la ville la plus proche de la Forteresse et ils attendent de l’aide en provenance d’un endroit très éloigné. Comment peuvent-ils faire à ce point confiance à une armée inconnue pour oser affronter la Première Armée ? »
– « Probablement parce que nous sommes dans les Mois des Démons », répliqua Hache-de-Fer après réflexion. « Bien que votre Altesse ait vaincu les chevaliers du Duc en utilisant la puissance du tonnerre, nos troupes n’ont pas montré d’aptitudes exceptionnelles au combat. Maintenant que la neige bloque les routes et que les bêtes démoniaques attaquent les frontières, le moment est bien choisi pour réussir une rébellion. Vous ne pourrez pas lancer une offensive contre la Forteresse avant au moins deux mois. »
– « Et je vais être gêné par les hauts murs de la ville et les puissants fusils à silex ? »
– « Oui », répondit Hache-de-Fer, un rictus sur le visage. « Toutes les armes que vous avez, ils les ont. Sans compter leurs insurmontables remparts et le renfort d’une armée dont nous ignorons la provenance, aussi ont-ils de grandes chances de vous battre au pied des remparts. C’est en tout cas ce qu’ils se disent. »
– « Cependant, ils ne sont pas conscients du pouvoir de Border Town. » Roland se leva :
« Hache-de- fer! »
– « À vos ordres, Votre Altesse! », répondit l’interpellé en se mettant aussitôt au garde-à-vous.
– « Que la Première Armée prépare immédiatement une expédition, nous partirons demain matin », ordonna résolument Roland. « Choisissez 500 soldats, prévoyez six canons de campagne. Je vous charge de prendre les dispositions nécessaires. »
– « Bien, Monsieur! » Répondit Hache-de-Fer en saluant.
De 500 soldats à l’origine, la Première Armée avait quadruplé ses effectifs qui étaient à présent de 2200. Les révolvers avaient été améliorés et leur puissance de tir considérablement augmentée. Par ailleurs, les soldats, qui à présent avaient un bien meilleur niveau d’instruction, exécutaient les taches avec beaucoup plus d’efficacité. Sur ordre de leur chef, le personnel militaire préparerait la quantité de munitions et de rations en fonction du nombre de soldats mobilisés sur l’opération et du nombre de jours prévus. La logistique pour 500 hommes serait gérée en une journée. Comparé aux chevaliers ou aux mercenaires, à qui il fallait au moins deux semaines pour se préparer, l’armée de Roland était incroyablement rapide et efficace.
Ils se rendraient à la Forteresse sur 11 bateaux à aubes. Depuis que la production en série avait commencé, il ne fallait que cinq jour pour construire un bateau doté d’une coque en béton armé. On avait même dû réduire la vitesse de production étant donné le nombre limité de machines à vapeur et de marins disponibles.
– « Carter! »
– « À vos ordres, Votre Altesse », répondit le Chevalier en Chef, relevant la tête.
– « Vous resterez à Border Town. »
Les coins de la bouche du chevalier tombèrent instantanément.
– « Co…comment ? Non, Altesse, comment pouvez-vous me laisser ici ? »
– « Nous sommes encore dans les Mois des Démons et les bêtes démoniaques représentent une plus grande menace que la noblesse », expliqua Roland, impassible. « Vous prendrez soin de la ville. »
Les deux hommes partis, Roland soupira :
– « Cette fois, je vais devoir emmener les sorcières. »
– « Où que vous alliez, je vous suivrai », répondit Rossignol en souriant.
Étant donné qu’ils pouvaient très bien avoir affaire à l’Eglise, Roland savait que sans les Pierres du Châtiment Divin, seules les sorcières pourraient contrer efficacement les attaques des Purifiées. Après réflexion, Roland décida que les sorcières qui l’accompagneraient seraient Foudre, Maggie, Sylvie, Naela, Lily et Rossignol.
« Si j’ajoute à cette liste les trois sorcières de combat de l’Île Dormante, les Purifiées n’auront guère de chances de nous battre. »
Roland se dirigea vers la fenêtre et regarda les montagnes et les plaines enneigées.
« Si je considère que la Chaîne des Montagnes Infranchissables représente les remparts de la Forteresse, alors les Terres Barbares au Nord sont le domaine des quatre familles, un territoire hors de portée de mon pouvoir. Depuis plus d’une décennie, les familles Elk, Eglantine, Érable et Wolf… gèrent leurs terres de manière indépendante, instaurant leurs lois et leurs coutumes privées, de sorte que Ryan lui-même, pourtant suzerain de la Région de l’Ouest, n’interférait que très rarement avec leurs affaires », songea Roland.
Le Prince avait l’intention de diviser et d’annexer progressivement ces territoires aristocratiques lorsque la nouvelle cité serait achevée, cependant, cette rébellion allait lui donner l’occasion de ne faire qu’une bouchée de ces vastes terres et de la population de la Forteresse.
Cette fois, il n’avait pas l’intention de lâcher ces nobles.