Les ténèbres se dissipèrent et Mayne se retrouva debout sur une place déserte.
L’environnement lui semblait étrangement familier… des petites maisons, un monastère encore en construction et une nouvelle église de pierre. Le sol en terre battue était sec et dur, sans aucune trace de neige, le soleil perçait à travers les nuages et une brise chaude lui caressait la joue. Il n’avait pas du tout l’impression d’être dans les Mois des Démons.
– « Un seconde… », Réalisa-t-il soudain : « Est-ce la vieille Cité Sainte où je suis devenu croyant ? Ce jour-là, Sa Sainteté O’Brien tenait un rituel de purification sur la place. »
– « Voici donc l’endroit le plus important dans vos souvenirs », dit froidement Cléo qui se tenait derrière lui. « C’est un endroit plutôt agréable. »
La Purifiée!
Ses souvenirs fragmentés se réunirent soudain et il se sentit envahi d’un accès de colère. Il se retourna et la regarda droit dans les yeux :
– « Cléo, êtes-vous devenue folle ?! »
« Comment ose-t-elle utiliser ses pouvoirs contre moi ? Et pourquoi la Pierre du Châtiment Divin que je porte n’a-t-elle aucun effet ? »
– « Je sais très bien ce que je fais », répondit Cléo en souriant. « C’est vous… qui êtes encore confus. Très bien, il y a plus qu’assez de temps dans votre monde subconscient pour que je vous explique. »
Mayne connaissait le Champ de Bataille des Âmes de Cléo qui lui permettait de combattre la victime possédée par la seule puissance de son esprit. Le vainqueur gagnerait tout tandis que le vaincu perdrait tout. C’était un pouvoir de type invocation extrêmement rare qui ne pouvait être combattu que par la Pierre du Châtiment Divin.
« Mais… bon sang », pensa-t-il soudain, « Je porte une Pierre du Châtiment Divin! »
Il tendit la main et sortit de sa poche le cristal bleu sans défaut qui reflétait une lumière céruléenne sous le soleil.
– « Pourquoi ? » Demanda Mayne en grinçant des dents.
– « Vous faites allusion à la pierre ? » Cléo sourit : « C’est simple : sa sphère d’influence a été supprimée. Bien sûr, un mortel ne sentira pas la différence. »
– « Son influence a été supprimée ? » Le Pape ne put s’empêcher de regarder. « Il n’y a qu’une seule personne dans toute la Cité Sainte qui puisse contrer les effets de la Pierre du Châtiment Divin : c’est Isabella. »
« C’est une trahison flagrante! »
« Traînées! » Pensa Mayne. Une veine palpitait sur son front et ses mains tremblaient de colère. « Si j’avais su à quel point elles étaient peu fiables, sitôt ma nomination, je les aurais ajoutées aux sorcières destinées à la transformation des soldats de l’Armée du Châtiment Divin! »
S’efforçant de dominer son humeur, il demanda amèrement :
– « Quand est-ce arrivé ? »
– « Comment pourrais-je savoir à quel moment elle a frappé puisque vous m’avez enfermée dans une cellule sous prétexte de me donner une leçon ? » Répondit Cléo en haussant les épaules. « Je lui ai seulement demandé de le faire, c’est tout. »
– « Vous lui avez demandé! Si vous n’aviez pas planifié cela depuis longtemps, elle n’aurait jamais commis un acte aussi blasphématoire avec autant de facilité. »
Son cœur manqua un battement : « Non », pensa-t-il. « Même à deux, elles n’y seraient jamais parvenues… »
Devenu Pape, il s’était installé dans la chambre qui appartenait à Sa Sainteté O’Brien où il y avait toutes sortes de pièges. Par ailleurs, des Soldats de l’Armée des Juges montaient la garde en permanence. Des Pierres Magiques Supérieures étaient accrochées à son lit et il en emportait chaque jour avec lui, suivi par des gardes partout où il se rendait. Comment auraient-elles pu trouver une occasion de frapper ?
Mayne était si en colère qu’il en devint étrangement calme.
– « Que voulez-vous ? Faites-vous cela pour vous venger de la punition que je vous ai infligée ? Même si vous me tuez, toute la grotte au-dessous de la cage est une zone d’influence des Pierres du Châtiment Divin. Vous n’aurez nulle part où aller. Sitôt que l’ascenseur s’arrêtera, vous serez repérée et capturée par les Juges qui attendent. N’espérez même pas vous échapper car lorsqu’ils commenceront à vous interroger, vous aurez l’impression que le fouet était fait de plumes.
– « Je n’ai pas l’intention de m’échapper », répondit Cléo. « Je veux prendre votre place et devenir le pape. »
Mayne en resta stupéfait. Il s’attendait à tout sauf à cette réponse.
– « Une Purifiée ? Devenir Pape ? Vous en avez de l’imagination! Je suis celui qui a été couronné Pape devant tous nos croyants! Si vous me tuez, pensez-vous qu’ils vous accepteront ? »
– « Je n’ai pas besoin d’apparaître en public. Il me suffit d’un “porte-parole” pour pouvoir agir en tant que pape », répondit Cléo, indifférente. « Voyez-vous, Sa Sainteté O’Brien restait la plupart du temps dans le Temple Central Secret et portait un masque lors de ses rares sorties à l’extérieur. Dans ces circonstances, qui aurait-pu dire que le Pape était bien celui qu’il prétendait être ? »
– « Votre ruse ne durera pas longtemps! N’avez-vous pas entendu ce que je viens de dire ? Dès que la cage touchera le sol et que les Juges réaliseront que je ne suis plus avec vous, ils vous arrêteront! » Rugit Mayne. « Si vous me libérez sur le champ, j’oublierai que vous avez commis cet acte irréfléchi. »
– « Une fois que la bataille des âmes a commencé, on ne peut plus l’arrêter », répondit Cléo avec un sourire. « De plus, vous vous trompez : jamais ils ne m’arrêteront. »
« Comment cela ? … Qu’est-ce que ça signifie ? »
Le Pape fronça les sourcils et regarda la Purifiée droit dans les yeux pour tenter de deviner ce qu’elle pensait, mais son regard, brillant d’excitation, ne reflétait aucune trace de peur ou de panique. Elle le regardait calmement, comme si ce qu’elle venait de dire était parfaitement normal.
Mayne sentit soudain un éclair traverser son esprit.
« Renoncer… serait peut-être une décision judicieuse. »
« Je suis désolé, mon enfant. »
Il ouvrit la bouche, mais de grandes mains lui enserraient la gorge et aucun son n’en sortit. Il se sentit sombrer, comme s’il venait de tomber dans un bassin d’eau glacée. Un long moment plus tard, il dit avec beaucoup de difficulté : « Est-ce O’Brien… »
– « Enfin vous avez compris », dit Cléo en arquant les sourcils. « Le Souverain Pontife a donné des ordres à tous les gardes et à l’Armée des Juges dans le Temple Central Secret : ils ne quitteront jamais leur poste souterrain et n’obéiront qu’au Pape. Vous avez accepté le sceptre en surface mais vous n’avez pas encore le contrôle du Temple Central Secret », dit-elle avec un petit rire. « Pensez-y, nous sommes actuellement au-dessus de la grotte et du noyau central de l’organisation de l’Eglise. C’est le seul endroit où il n’y a pas de gardes ni l’influence de la Pierre du Châtiment Divin. Ne trouvez-vous pas que c’est une arène parfaite ? »
La Pure Sorcière cessa de sourire et des flammes se mirent à danser dans ses yeux.
– « C’est le champ de bataille que Sa Sainteté a organisé pour nous. Celui d’entre nous qui survivra deviendra le véritable dirigeant de l’Eglise. »
– « Comment… comment est-ce possible ? »
Mayne sentit sa gorge se dessécher : « Ce vieil homme stupide a-t-il fait cela pour se repentir d’avoir pris un pouvoir qui appartenait à l’origine aux sorcières ? C’est absurde! »
Les flammes dans les yeux de Cléo reflétaient nettement l’ambition, une émotion rare chez les Purifiées. Formées dès leur naissance pour être des instruments, toutes étaient censées se montrer loyales envers les responsables de l’Eglise.
« Si nous n’avions pas vaincu ces imprudents… Mais non! Bon sang! »
Mayne venait de se rappeler ce que Sa Sainteté lui avait dit avant qu’il n’envahisse le Royaume de Wolfheart.
– « J’envoie deux Purifiées se battre à vos côtés. Nul ne peut échapper à leur colère. »
Pourquoi n’avait-t-il jamais envisagé que l’acquisition des souvenirs du Roi de Wolfheart et de la Reine de Clearwater affecterait Cléo ?
Il revit l’expression soulagée d’O’Brien dans ses derniers moments et comprit enfin la signification de ses ultimes paroles. Furieux, Mayne serra les dents : « Comment le vieil homme n’a-t-il pas pensé à ce problème ? Il s’était déjà préparé au fait que son ambition reviendrait au cœur de la Purifiée. »
« Est-ce là la fin que vous espériez voir, Souverain Pontife ?! »