À Border Town, un grand banquet de célébration eut lieu dans la salle principale du château.
Y assistaient non seulement les sorcières mais également le personnel de haut rang de l’Hôtel de Ville et de la Première Armée. Il y avait les nobles Barov Mons et Carter Lannis, ainsi que les civils Hache-de-Fer et Kyle Sichi. En ce qui concerne ce dernier, Roland avait dû se battre pour le persuader de sortir de son laboratoire et d’assister à ce banquet, selon lui ײinsignifiantײ.
Afin de faire participer ses sujets à ce joyeux évènement, il fit un discours public et ordonna au personnel de cuisine de préparer une grande quantité de pain blanc avec ce qui restait d’amidon raffiné et de le distribuer à tous les habitants de la ville. Tous ceux qui possédaient une carte d’identité purent obtenir de l’Hôtel de Ville une part de ce délicieux aliment.
La Première Armée était encore sur le chemin du retour que déjà la plupart des habitants de la ville avaient appris leur victoire au combat.
Bien entendu, ils ne pouvaient pas nécessairement comprendre le but et la signification de l’expédition, mais du moment qu’il y avait du pain gratuit, ce jour était pour eux un jour de fête.
C’était également la première fois que Roland donnait un de ces banquets ײchicsײ comme c’était de coutume à la Cité du Roi.
Il n’y avait ni barbecue, ni grosses pièces de viande : tout était découpé en petits morceaux et magnifiquement disposé sur des assiettes immaculées. À l’extrémité de la table se trouvaient plusieurs récipients contenant toutes sortes d’assaisonnements afin que les invités puissent agrémenter leur nourriture selon leur goût, comme dans les buffets des générations à venir.
– « Soyez la bienvenue », dit Roland à Anna, deux verres de vin de fruit à la main. « Le voyage a dû être pénible. »
– « Vous m’avez posé la question sur le quai », répondit-elle en prenant un verre. « Ma réponse n’a pas changé : non, ça ne l’était pas. »
Leurs verres se touchèrent légèrement. Les yeux de la jeune femme étaient pleins de joie et de douceur, aussi Roland dut-il se faire violence pour résister à la tentation de la prendre dans ses bras devant tous. Il alla trinquer avec les autres sorcières.
– « Et moi ? » s’écria Foudre.
– « Vous aussi », dit Roland en appelant un serveur. Il tendit un verre de cidre à la jeune fille en disant : « Vous avez bien travaillé. »
– « Je veux du vin blanc! », s’écria-t-elle en le regardant avec de grands yeux.
– « Euh… »
Roland réfléchit quelques secondes et décida finalement de réaliser son souhait.
Cette enfant avait toujours été très curieuse. S’il lui refusait sans cesse, elle finirait sans doute par imiter Rossignol et se faufilerait en cachette dans la cuisine pour dérober du vin.
« Entendu, répondit-il. Mais un verre seulement. »
– « D’accord! »
Lorsque Roland lui tendit un verre de vin blanc léger mélangé à de la glace et du jus de raisin, elle s’approcha soudain et lui donna un baiser sur la joue.
– « Hem Hem… Est-ce la coutume dans les Fjords ? »
– « Tout à fait », répondit Foudre. « C’est mon père qui me l’a enseigné! »
Étant donné que ce n’était pas la première fois qu’elles voyaient cela, les sorcières de l’Associations ne furent pas surprises mais Sylvie, stupéfaite, ouvrit grand les yeux avant de lancer au Prince un regard accusateur.
« Existe-t-il réellement une coutume dans les Fjords qui veut que l’on embrasse quelqu’un sur la joue pour célébrer un acte héroïque ? » se demandait-elle.
Embarrassé, le Prince se détourna pour éviter son regard.
Vint ensuite le moment de porter un toast avec les ministres.
Quand arriva le tour du chef Alchimiste, celui-ci se pencha et murmura :
– « Votre Altesse, depuis que vous m’avez remis la ײChimie Intermédiaireײ, je l’ai déjà lue deux fois mais il y a encore beaucoup de choses que je ne comprends pas. »
– « Vous voulez parler de la constitution subatomique de la matière ? Cette partie nécessite de nombreuses connaissances en physique. Un autre livre pourrait vous aider à comprendre », répondit Roland. « Je vous suggère donc de commencer par lire la ײPhysique Elémentaireײ avant de reprendre ce qui reste de la ײChimie Intermédiaireײ. Vous trouverez ainsi la réponse à bon nombre de vos questions. »
– « C’est ce que j’avais l’intention de faire, cependant… » Il hésita un instant avant de poursuivre : « Votre Altesse, pourquoi avoir utilisé des couleurs différentes sur la couverture de chacun de ces livres anciens ? Cela a-t-il une signification particulière ? »
– « C’est… » Roland réfléchit un instant : « La couleur représente le niveau de connaissances et de difficulté. »
« C’était donc ça… » Songea Kyle.
– « Les couleurs vont du vert au violet. Plus la couleur est profonde, plus les connaissances consignées dans le livre sont subtiles, me semble-t-il. La ײChimie Avancéeײ doit certainement être noire! »
– « Non, orange. »
– « Ah ? » S’exclama Kyle, surpris. « Pourquoi ? »
Roland sourit :
– « Qui sait ? »
Au milieu du banquet, Roland sortit de la salle et se dirigea vers la terrasse. La douce brise du soir était légèrement fraîche.
Il réalisa que c’était déjà le milieu de l’automne. Autrement dit, l’hiver serait bientôt là, recouvrant de neige tout le Territoire de l’Ouest et avec lui arriveraient les Mois des Démons.
Mais la situation à Border Town était aussi différente de celle de l’année passée que le noir pouvait l’être du blanc. Les changes commerciaux avec la Chambre de Commerce de Margaret avaient rapporté beaucoup de liquidités. Ces Royals d’or étaient employés pour payer les salaires de la population ainsi que pour acheter de la nourriture et des matériaux. Selon les statistiques du commerce de proximité, les ventes, dernièrement, avaient beaucoup augmenté compte tenu du fait que certains de ces produits amélioraient considérablement la qualité de vie des gens. C’était particulièrement vrai pour les steaks et les œufs.
C’était sans aucun doute possible un signe de l’amélioration progressive du niveau de vie de la population. Les autochtones surtout, étaient à présent tous logés gratuitement et leur salaire avait beaucoup augmenté. Depuis quelque temps, ils s’étaient même mis à acheter de la nourriture qu’en temps normal ils ne se permettaient qu’en période de festivités. Les nouveaux arrivants en étaient encore au stade où ils épargnaient pour pouvoir acheter une maison mais lorsqu’ils se seraient installés, le marché connaîtrait nécessairement une nouvelle hausse des ventes.
De quoi les gens avaient-ils vraiment besoin ? Parfois, le simple fait de pouvoir manger et boire suffisait à faire d’eux des personnes reconnaissantes envers leur Seigneur, prêtes à le suivre jusqu’à la mort.
À cette époque, il était facile de satisfaire la plupart des gens du peuple.
– « Votre Altesse, prenez garde de ne pas prendre froid », dit Rossignol qui venait d’apparaître derrière lui, un léger manteau à la main. Elle le lança à Roland, sortit un morceau de poisson séché de son sac et vint se placer à côté de lui :
– « Que faites-vous ici ? »
– « Rien », répondit Roland avec un sourire en enfilant le manteau, « j’ai soudain eu envie de contempler mes terres. »
– « Apparemment, la ville est toujours aussi affairée », dit la sorcière en montrant du doigt la place encore très éclairée. « Il fait déjà nuit et beaucoup de gens ne sont pas encore rentrés chez eux. »
– « C’est à cause de la première représentation de ײl’Aubeײ, la nouvelle pièce de théâtre », expliqua t’elle joyeusement. « C’est la première fois que la troupe se produit depuis qu’elle s’est absentée de Border Town. Les villageois sont certainement très impatients de revoir Mlle May et Mlle Irène. »
Cela étant dit, Mlle May allait bientôt s’appeler Madame May Lannis.
Le Prince n’aurait jamais pensé que son Chevalier en Chef gagne aussi vite le cœur de l’Étoile de l’Ouest. Il était resté un moment muet de stupéfaction lorsque celui-ci lui avait donné son amour avec sincérité. En effet, pour se marier, le Chevalier avait besoin de l’approbation de son seigneur et Roland n’avait aucunement l’intention de s’opposer à cet heureux évènement. Ils avaient prévu de se marier après les Mois des Démons, plus précisément, le jour où Border Town deviendrait une ville officielle.
– « Lorsque je me suis faufilée pour la première fois dans cette ville, c’était un endroit mort », s’exclama Rossignol, « mais à présent, même depuis le château, il me semble ressentir l’humeur joyeuse des gens qui nous entourent. »
– « Leur vie s’améliorera de jour en jour », répondit Roland.
Il leva les yeux, regarda le ciel nocturne sans nuages et prit une profonde inspiration. Il restait encore beaucoup à faire, par exemple élargir le domaine de l’éducation, mettre en place un système de santé public, augmenter le nombre des sites culturels, encourager le taux de natalité, etc. Tout ceci contribuerait à faire du Territoire de l’Ouest une force, posant du même coup les bases de l’unification du Royaume.
Rossignol pencha la tête, le regarda malicieusement et demanda :
– « Et nous ? »
– « Vous aussi bien sûr », répondit le Prince en lui tapotant la tête, « je vous en fais la promesse. »