Roland estima grossièrement la taille de la grotte souterraine : la zone inférieure avait presque la taille d’un terrain de football et était entourée de parois escarpées. Le chemin qui la reliait à l’autre grotte partait de l’une de ces parois montagneuses, à côté de l’entrée du tunnel, il apercevait un escalier de pierre étroit qui descendait abruptement.
– « Je suppose que ce n’est pas vous qui avez construit cet escalier », dit Roland. Il s’accroupit et approcha sa torche du sol. Les marques gravées par des couteaux et des haches se découpaient nettement à la lueur de la torche. De la poussière et des morceaux de roche s’étaient infiltrés dans les interstices.
– « Bien sûr que non, Votre Altesse. Lorsque nous avons découvert la grotte, les escaliers de pierre existaient déjà », répondit Carter en haussant les épaules « Je suppose qu’ils sont là depuis des décennies. »
– « Ou des centaines d’années », dit soudain Anna.
– « Je le pense aussi », approuva Foudre. « Border Town n’existe que depuis soixante-dix ans, il est peu probable que l’escalier de pierre ait quelque chose à voir avec ses habitants ou ceux du royaume. »
– « Le Territoire de l’Ouest était-il déjà occupé il y a plusieurs centaines d’années ? » Interrogea Carter. « Graycastle n’existait même pas à l’époque. »
Roland tapota l’épaule du chevalier :
– « Il y a quatre cent cinquante ans, il existait ici des gens que l’histoire à oubliés. » Il leva sa torche et dit : « Descendons jeter un coup d’œil. »
Vingt à trente soldats de la Première Armée se tenaient au centre de la grotte, aussi, sans perdre un instant, emmena-t-il le chevalier et les sorcières près de l’une des Pierres du Châtiment Divin. Ce n’est que lorsque le Prince fut tout près de ce pilier de pierre qu’il réalisa combien il était immense. Il eut beau écarter les bras aussi loin qu’il le put, il ne parvint pas à en encercler le dixième.
Il leva la tête et regarda le sommet. Le plus haut, fait de Pierre du Châtiment Divin, mesurait déjà près de trente mètres de haut, ce qui correspondait presque à la hauteur d’un bâtiment de huit ou neuf étages. Il brillait d’une sinistre lumière pourpre.
En théorie, les pierres qui avaient le pouvoir d’émettre de la lumière contenaient soit un matériau radioactif, soit des composants fluorescents. Mais, les rayons de lumière émis par la Pierre du Châtiment Divin n’avaient évidemment rien à voir. Dans le premier cas, la lumière provenait de l’ionisation de l’air au fur et à mesure de la décomposition des éléments… En outre, plus la demi-vie était courte, plus la luminosité serait grande. Mais selon cette même description et en tenant compte de la luminosité des pierres, les soldats qui étaient entrés dans la grotte depuis plusieurs minutes auraient dû être tués par les radiations liées à l’ionisation.
Pour la seconde hypothèse, il aurait fallu une source de lumière externe capable de recharger suffisamment la pierre pour qu’elle éclaire en continu. Mais il n’y en avait pas au fin fond de la mine.
Roland avait également remarqué que bien que la Pierre du Châtiment Divin ait la forme d’un prisme, généralement liée aux pierres cristallines, sa surface ne présentait pas cet aspect veiné lié aux cristaux mais était au contraire aussi lisse que le verre.
– « L’Église vend plusieurs Royals d’Or une pierre de la taille d’un pouce. Personne ne serait en mesure d’acquérir une pierre de cette dimension… même en vidant les voûtes des Quatre Royaumes réunis », déplora Carter.
– « Vous voudriez la remettre aux nobles pour qu’ils massacrent les sorcières ? » Demanda Rossignol avec un regard furieux.
– « Euh, ce n’est pas ce que je voulais dire », répondit immédiatement le Chevalier en Chef en se retirant de son champ de vision.
– « C’est la première fois que je vois briller la Pierre du Châtiment Divin dans ces teintes. Ne devraient-elles pas être d’un blanc transparent ? » Foudre, curieuse, regarda les piliers : « Si jamais vous emportez ces pierres, je pense que vous n’aurez plus besoin d’allumer des bougies lorsque viendra le soir. »
– « Je préfère apporter une bougie dans une pièce qui en contient déjà des dizaines plutôt que d’utiliser cela pour avoir de la lumière », murmura Rossignol en posant ses deux mains sur sa poitrine. « Pour nous autres sorcières, ce sont des cages de prisonniers dont les chaînes sont tenues par l’église! Si ces maudites pierres n’existaient pas, le monde ne s’en porterait que mieux. »
– « Oh, sœur Rossignol, de toute façon vous n’avez jamais lu ne serait-ce qu’une phrase le soir… », répondit la jeune fille. Passant sa langue sur ses lèvres. Elle ramassa une pierre et regarda Roland : « Puis-je en rapporter un morceau comme butin d’aventure ? »
Roland hocha la tête :
– « Si vous n’avez pas d’aversion pour ce genre de choses. »
Elle ramassa une pierre, leva le bras en l’air et la lança en direction du pilier. Celle-ci vint se briser contre le bord du prisme avec un “ting”. Le morceau de pierre qu’elle tenait dans sa main se brisa en éclats tandis que le prisme ne présentait pas la moindre éraflure.
Stupéfait, Carter s’écria :
– « Comment cela se fait-il ?… La Pierre du Châtiment Divin n’est-elle pas supposée être fragile ? »
– « Peut-être est-ce dû au fait que ce morceau brille différemment », répondit Foudre. Elle jeta les fragments de pierre qu’elle tenait encore dans sa main et tira un poignard du sac qu’elle portait à la taille. La jeune fille fit maintes fois le tour du prisme, tenta de gratter, de couper, mais en vain.
Roland sentit que quelque chose n’était pas normal. Il regarda Rossignol et dit :
– « Essayez, vous. »
L’interpelée se contenta d’acquiescer. Elle sortit son revolver, visa le prisme et appuya sur la gâchette. Un puissant écho énorme déchira le silence de la caverne et quelques étincelles se formèrent au point d’impact sur la Pierre du Châtiment Divin. Lorsque la fumée eut disparu, le groupe s’approcha de la pierre et découvrit que la balle n’avait fait que laisser une légère trace à la surface de celle-ci.
Apparemment, la durabilité de ces pierres intensément brillantes était supérieure à celle des plaques d’acier homogénéisées.
– « Même le révolver est inutile ? » demanda Carter en fronçant les sourcils. « Mais enfin, comment l’Eglise parvient-elle à la découper pour la vendre ? »
Personne ne pouvant répondre à cette question, les visages s’assombrirent.
Pourtant, Roland était déjà parvenu, par ses propres forces, à briser la Pierre du Châtiment Divin. La fois où il avait brisé le collier qu’Anna portait autour du coup, il lui avait suffi de deux ou trois coups pour réduire la pierre pure et limpide en un tas de poussière blanche.
Mais Anna, qui avait gardé le silence jusqu’ici, ouvrit soudain la bouche :
– « Votre Altesse, vous rappelez-vous la ײcarte au trésorײ que Ferlin Eltek avait dessinée ? »
– « La ײCarte au trésor ?ײ Demanda Roland confus. Il se souvenait vaguement d’un triangle qui occupait plus de la moitié du dessin.
« L’une des trois pointes indiquait l’emplacement de la Cité Sainte de Taqila, une autre celui de la tour de pierre de la Forêt aux Secrets et la troisième le pied du Versant Nord de la montagne… Un instant! Le pied du Versant Nord ? »
Soudain, un éclair lui traversa l’esprit : « Ne me le dites pas… »
– « Je ne pense pas que la carte indiquait le pied de la montagne, mais plutôt l’endroit précis où nous nous trouvons », dit calmement Anna. « Il y a beaucoup de Pierres du Châtiment Divin dans ce souterrain. »
…
Même après une recherche minutieuse, à l’exception des nombreuses pierres indestructibles du Châtiment Divin, ils ne trouvèrent aucun autre objet précieux dans la caverne.
Non seulement il n’y avait pas de livres anciens, mais ils ne retrouvèrent même pas d’outils de ciselage utilisés pour construire l’escalier de pierre, ce qui était très étrange. Avec les connaissances technologiques de l’époque, réaliser un escalier à l’aide d’un burin dans une falaise aussi abrupte devait être une entreprise considérable et ardue. Il devait souvent arriver qu’un ouvrier tombe accidentellement ou perde ses outils. Cependant, concernant ce lieu précisément, outre des pierres et encore des pierres, la caverne semblait avoir été entièrement nettoyée avant le départ de ses occupants.
Lorsque Roland fut de retour à son bureau, il appela immédiatement Scroll et lui demanda de reproduire le dessin du chevalier sur son ײLivre des changementsײ.
Comme sur le modèle qu’il gardait en mémoire, le point le plus au sud était en effet situé au pied du Versant Nord de la montagne.
« Si la supposition d’Anna est exacte, se pourrait-i qu’il s’agisse d’une carte laissée par l’Église indiquant l’emplacement de nouvelles veines de Pierres du Châtiment Divin ? Mais dans ce cas, pourquoi auraient-ils mis tant de temps et d’efforts dans la réalisation de cet escalier de pierre pour l’abandonner ensuite ? Si l’Église avait construit un lieu de culte à Border Town il y a quatre cent cinquante ans, la ville à l’époque devait être complètement différente de l’actuelle. Etant donné le prix de vente de la Pierre du Châtiment Divin et son utilisation, il est peu probable qu’ils aient abandonné de plein gré les ressources naturelles de cette mine. »
Actuellement, la Cité Sainte de Taqila était devenue une région interdite, totalement hors d’atteinte. Leur seule chance d’avoir la réponse se trouvait peut-être dans la tour de pierre… à moins que cela ne reste à jamais un mystère.