Tonnerre, qui n’en croyait pas ses yeux, demeura bouche-bée, le regard fixés sur les murs.
A leur sommet, des dizaines de petits trous contenaient chacun une pierre qui émettait une pure lumière blanche. Ces pierres fantastiques étaient non seulement enchâssées sur les murs mais également sur le plafond. Sous la douce lumière des pierres, tous les détails apparurent clairement.
C’était la première fois que Cendres voyait l’explorateur afficher une telle expression, ce qui remplissait son cœur de joie :
– « Ne savez-vous pas que grâce au pouvoir magique de ces pierres, les sorcières pourront développer d’autres capacités ? »
– « Voulez-vous dire que ces pierres sont aussi des Pierres Magiques ? »
Tonnerre, prudent, saisit une des pierres. Même lorsqu’il l’eut retiré du trou, la lumière ne s’affaiblit pas.
– « Je ne sais pas, » répondit Tilly. « Ces pierres sont peut-être là depuis des centaines d’années. Comme elles étaient cachées derrière de l’ardoise, vous ne pouviez pas les voir. Seule une sorcière, avec ses capacités, pouvait déclencher le mécanisme. »
– « Alors, Ce n’est pas grâce à vous qu’elles brillent ? »
– « Non, les pierres éclairent naturellement », répondit Tilly. Elle s’empara d’une pierre magique et la plaça devant ses yeux : la pure lumière blanche caressa son beau visage. « Il est possible que ce soit un dispositif qui nécessite l’utilisation de la magie, de la même manière qu’une bougie ne peut exister sans sa flamme. A part ces pierres, il n’y a rien de particulier dans ces murs. »
– « Si vous avez raison et que ces pierres éclairent d’elles-mêmes, cela doit faire des centaines d’années, et de ce fait leur valeur est inestimable », dit Tonnerre, émerveillé. « Sachez qu’au Royaume de l’Éternel Hiver on trouve des cristaux de la taille d’un poing qui coûtent plusieurs centaines de Royals d’or, mais dont l’éclat est bien moindre.”
Lorsque les marins entendirent évoquer un prix aussi exorbitant, ils ouvrirent de grands yeux.
– « Comme nous étions convenus, la moitié vous revient », déclara Tilly, désintéressée.
Elle avait à présent suffisamment de lumière pour mieux explorer la salle. Peinée de voir Tilly arracher les algues de ses propres mains, Cendres prit son énorme épée et les balaya aussi facilement que si elle tondait de l’herbe. Très vite, elle découvrit une seconde pierre incrustée dans le mur.
Comme elle l’avait fait précédemment, Tilly utilisa sa magie. Tous eurent la surprise de voir une énorme dalle de pierre s’incliner au-dessus de la Princesse, tandis qu’un son clair et métallique retentissait, laissant apparaitre un passage. Deux rampes de cuivre encadraient une volée de marches qui partaient du sol et s’élevaient jusqu’au plafond. En regardant vers le haut, Cendres réalisa qu’une porte métallique fermait le passage.
– « Tilly »
Voyant que la princesse s’apprêtait à monter les marches, Cendres s’écria :
– « Je passe la première! »
– « Ne vous inquiétez pas, il ne s’agit pas de la salle au trésor » répondit Tilly en grimpant rapidement l’escalier. Elle plaça la main sur une pierre magique située à côté de la porte. Celle-ci réagit immédiatement et s’ouvrit.
Voyant Tilly disparaître, Cendres la suivit, son épée à la main.
Arrivait au plafond, Cendres aperçue une autre pièce, beaucoup plus petite que le hall d’entrée, illuminée elle aussi par des pierres encastrées dans les murs. Mais à sa grande surprise, il n’y avait nulle trace d’eau en ces lieux.
Tables, chaises, étagères, armoires en bois… tous les meubles étaient recouverts de poussière, mais encore intacts. Cendres aperçut même des toiles d’araignées. Toutes les étagères étaient couvertes de livres gris de poussière. L’un d’eux était ouvert sur la table, à côté d’une tasse, d’une bouilloire et d’un porte-plume. De la plume, il ne restait que la tige et l’encre avait séché depuis longtemps. Cette pièce remplie d’étagères et la salle inférieure couverte d’algues étaient deux mondes différents.
Tonnerre fut le troisième à monter l’escalier. Il ressentit une bouffée d’air froid et se demanda :
– « C’est… ».
– « Cet endroit est désert depuis longtemps », répondit Tilly en s’emparant du livre posé sur la table. Elle l’épousseta doucement et se mit à en parcourir les pages :
– « Apparemment, Il y a très longtemps, quelqu’un a vécu ici. »
– « Que dit ce livre ? »
– « Je n’en ai aucune idée », dit-elle en le montrant aux deux autres : « Je n’avais jamais vu ces symboles auparavant. »
– « De toute évidence, tous les livres figurant sur les étagères sont semblables », confirma Cendres, qui de son côté époussetait les autres livres. Tous étaient écrits dans une langue dont elle ne saisissait pas le sens.
– « Nous pouvons les emporter et les étudier à notre rythme », dit Tilly en riant. « Il est bien entendu que tous les livres et les pierres magiques que nous découvrons nous appartiennent. »
– « C’est évident », dit Tonnerre en touchant sa barbe, « Mais lorsque vous aurez enfin compris leur signification, J’ose espérer que vous me ferez part de ces histoires antiques. »
– « Comptez sur moi »
Tous trois firent lentement le tour de la pièce, tâtonnant partout avec leurs mains afin de se faire une idée générale des lieux.
Ils ne trouvèrent pas d’autres pierres, mais un étrange dispositif situé dans un coin reculé de la pièce. À première vue, on aurait dit un épais tube de métal, dont une extrémité était encastrée dans le mur et s’affinait progressivement jusqu’à atteindre l’épaisseur d’un poignet.
– « Qu’est-ce ? » Demanda Cendres. Elle heurta le tube, ce qui généra une résonnance à l’intérieur, et lui permit de déduire qu’il était creux.
– « Cela me fait penser aux miroirs d’observation que nous utilisons en navigation. Ceux qui vivaient ici l’utilisaient peut-être pour regarder dehors ». Tonnerre regarda dans l’objectif et, au bout de quelques secondes, dit :
– « Tout est noir… Je ne vois rien. On dirait qu’il est cassé. »
– « Pas forcément, » Répondit Tilly, en indiquant du doigt le mur, situé derrière le tube métallique, « Regardez ça! »
Cendres regarda dans la direction indiquée, et aperçut une plaque de cuivre surmontée d’une poignée encastrée dans le mur. Au-dessous, apparaissait une petite fente, de toute évidence il s’agissait d’une insertion destinée à introduire une clé. La Princesse s’avança et tenta de tirer la poignée, cependant la plaque de cuivre ne bougea pas d’un iota.
– « On dirait qu’il est verrouillé. »
– « Je vais tenter », dit Cendres. Elle s’empara de la poignée, tira de toutes ses forces, et la plaque de cuivre tomba enfin du mur.
– « Bien vu! », dit Tonnerre en applaudissant, « C’est encore un mécanisme lié à la magie. »
Derrière la plaque de cuivre se cachait une cavité insérée dans une énorme pierre magique. Elle ne différait de la précédente que par sa taille. Elle semblait beaucoup plus grande, et était plutôt violette qu’écarlate.
– « Voulez-vous l’activer ? » demanda Cendres.
– « Oui », répondit Tilly sans la moindre hésitation. Elle posa sa main sur la pierre, cependant rien ne se produisit.
– « Quel est le problème ? »
– « C’est… trop imposant », répondit Tilly. De petites perles de sueur apparaissaient sur son front. « On dirait qu’il absorbe tout mon pouvoir magique. Apparemment, l’énergie nécessaire pour activer ce mécanisme est énorme.
– « Laissez tomber », dit Cendres en fronçant les sourcils. Elle savait pertinemment que si une sorcière épuisait totalement son pouvoir magique, elle tomberait certainement dans le coma. Ce n’était probablement pas le moment.
– « Non, ça va aller ». Tilly n’avait pas terminé sa phrase, qu’un grondement retentit de l’intérieur du mur. On aurait dit qu’un orage incessant faisait trembler toute la pièce.
– « Serait-ce un… tremblement de terre ? » s’écria Tonnerre en se raccrochant au tube de métal pour éviter de tomber. Cendres tenta de retenir Tilly et l’entraîna dans son étreinte. La poussière tomba des livres, et tous trois se mirent à tousser.
Cette secousse persista durant près d’un quart d’heure.
Le calme revenu, Molly monta à son tour, passa la tête par la porte et demanda :
– « Que s’est-il passé ? »
– « Nous venons de déclencher un autre mécanisme », répliqua Cendres, « Tout va bien en bas ? »
– « Tout le monde a eu peur, les plaques se sont misent à tomber et j’ai dû les retenir avec mon serviteur magique », répondit la jeune fille. Curieuse, elle s’approcha de Tilly :
– « Que regardes-tu ? »
Contre toute attente, Tilly ne répondit pas. Elle avait un œil fermé et l’autre pressé contre la lentille. Demeurant longuement silencieuse et s’exclama, étonnée :
– « C’est incroyable! »
Cendres, curieuse, s’avança devant la lentille, et lorsqu’enfin l’image s’éclaircit, elle resta sans voix :
À l’autre extrémité du “miroir d’observation”, elle aperçut une vaste contrée. Cette terre était entourée d’une falaise dont on ne voyait pas la fin. En son centre se dressait une gigantesque porte de pierre qui semblait si profonde et si sombre, qu’on aurait dit une énorme bouche, prête à dévorer la première personne venue.