Relâchez cette Sorcière | Release that witch | 放开那个女巫
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Chapitre 173 : Le Souhait d’Irène
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Lorsque tous deux arrivèrent chez eux, Ferlin secoua la tête et demanda à contrecœur :  

– « N’auriez-vous pas pu dire à Son Altesse que vous avez besoin de quelques jours pour réfléchir à sa proposition avant de lui donner une réponse ?

« Sur le chemin du retour, j’avais l’impression qu’elle ne marchait pas mais qu’elle dansait! Je dois dire que la dernière fois que je l’ai vue aussi heureuse, c’était le jour de notre mariage. » Pensait-il.

– « Si je l’avais fait », répondit Irène en tirant la langue, « je n’en aurais pas dormi de la nuit! »

L’amour d’Irène pour l’art dramatique était si fort qu’on la voyait souvent travailler son texte au sein du théâtre de la forteresse à plus de minuit. Sans le Duc, elle aurait pu, de la fleur du théâtre qu’elle était – pas seulement de réputation mais aussi de par son talent- devenir la vedette du spectacle.

A cette pensée, il s’approcha de son épouse par derrière, la prit dans ses bras et lui chuchota au creux de l’oreille :

– « Pardon ma chérie. »

Irène lui caressa la tête pour le réconforter :

– « Ce n’était pas votre faute, il vous avait envoyé à l’extérieur, vous n’aviez aucun moyen de l’en empêcher. » Elle rit doucement et poursuivit : « Au lieu de perdre votre temps à vous excuser, vous feriez-mieux d’aller à la cuisine préparer quelque chose, je suis impatiente de jeter un œil à ces scripts. »

– « Entendu, comptez sur moi »  répondit Ferlin en l’embrassant délicatement sur le lobe de l’oreille. « Je vais nous préparer un porridge à la viande, des œufs frits et une saucisse pour fêter l’évènement. »

À bien des égards, l’aménagement de leur nouvelle maison différait de l’ancienne. A la Forteresse de Longsong, chez les aristocrates comme chez les gens du peuple, les cuisinières étaient toutes ouvertes sur la pièce à vivre, tandis que dans ce logement, ils disposaient d’une pièce séparée pour le four.

Le poêle était entouré de murs sur trois côtés, l’arrière étant directement relié à la cheminée. L’intersection était même munie d’un déflecteur que l’on pouvait décaler horizontalement et fermer lorsqu’on ne l’utilisait plus afin de ne pas être envahi par la fumée en provenance des poêles des autres locataires.

Ferlin pouvait trouver plusieurs avantages à cette nouvelle conception : Il suffisait par exemple de fermer la porte pour préserver le salon de la fumée ou des odeurs de cuisine et durant l’été pour éviter que le fourneau n’augmente la température ambiante.

Lorsque le chevalier l’eût rempli de bois de chauffage et de copeaux, le feu prit rapidement. Il allait pouvoir se concentrer sur les plats prévus pour le repas du soir.

Après le dîner, Irène se replongea dans la lecture des scripts et ne parvint à reposer le troisième livret que lorsque la bougie fut entièrement consumée.

– « Comment sont-ils ? » ne put s’empêcher de demander Ferlin.

Il voulait savoir si ces scripts étaient bons au point qu’elle passe autant de temps à les lire. Lorsqu’elle travaillait encore au théâtre, son épouse lisait dix livres de cette épaisseur en une demi-journée seulement.

– « Honnêtement… c’est difficile à dire », s’écria Irène pleine d’admiration. « Ces livres sont remplis de nouvelles idées, je n’avais encore jamais lu d’histoires de ce genre. Dans ײCendrillonײ par exemple, ce n’est pas d’une princesse dont le prince tombe amoureux mais d’une jolie paysanne. Et ce n’est pas encore le plus étonnant! Il insistera jusqu’au bout pour épouser cette jeune femme.

J’en suis même arrivée à me demander si le prince l’avait déjà lue. Dans le cas contraire, l’étrange histoire de ce couple improbable ne pourrait-elle pas lui déplaire ? Malgré tout, elle était passionnante. J’avais une folle envie d’applaudir au moment où le prince retrouve enfin Cendrillon et glisse le soulier de cristal à son pied. »

ײLe coq chante à minuitײ était également fascinant, mais comparée à ײCendrillonײ, je dois avouer que l’histoire est beaucoup plus simple. A mon avis, deux ou trois scènes suffiront à tout raconter. Par ailleurs, j’ai eu grand plaisir à lire le paragraphe où il est décrit comment les serfs trouvèrent le courage de résister à la noblesse. C’était merveilleux.

Après un long moment de coercition, l’état d’esprit des serfs a complètement changé par rapport au temps où ils devaient supporter la situation à tout prix jusqu’à ne plus en pouvoir. Tout est parfaitement décrit dans cette histoire. Le sentiment qui éclate lorsqu’ils décident enfin de résister et de donner libre cours à leur passion semble sortir tout droit du cœur de l’observateur! »

– « Des serfs qui s’opposent à la noblesse ? » Ferlin fronça les sourcils : jamais l’aristocratie ne tolérerait une chose pareille. « Si les serfs du Manoir Etlek venaient à lever leurs houes et leurs pelles contre l’intendant, je suis certain que mon père exposerait leurs têtes devant la porte du manoir dès le lendemain. Son Altesse Royale veut vraiment que vous jouiez dans une pièce comme celle-ci ? »  

– « Vous ne comprenez pas car vous n’avez pas lu le scénario », répondit  Irène en lui jetant un regard froid, « lorsque vous l’aurez lu, vous penserez, comme moi, qu’ils ont eu raison de se soulever, de résister et de ne pas se laisser opprimer plus longtemps. 

Les manœuvres d’intimidation du jeune seigneur devenaient intolérables, il était temps qu’il s’aperçoive de l’importance d’une vie humaine. Les serfs se sont contentés d’enfermer ce  noble dans un sac pour lui donner une bonne raclée. Si vous voulez mon avis, ils n’y sont pas allés assez fort. Par la suite, alors que les nobles s’apprêtaient à tuer tous les serfs, ceux-ci furent sauvés par une sorcière qui passait par là. »

« Elle devint ensuite une image locale bien connue de l’aristocratie, leur rappelant ce qu’il adviendrait des méchantes gens. Plus tard, au cours d’un débat un seigneur étranger prit une décision sage et bienveillante : il racheta tous les serfs et leur rendit la liberté! J’entends déjà les acclamations de la foule lorsque nous en arriverons à ce moment de l’histoire. »

« Mais l’aristocratie va certainement protester », pensa Ferlin qui désapprouvait, « de ce fait, le théâtre sera soumis à la pression de la noblesse, qui exigera certainement la dissolution de la troupe. Mais…un instant… »

Ferlin venait de réaliser qu’à l’exception de Son Altesse Royale et de Sir Pine, il n’y avait pas de nobles à Border Town. Par ailleurs, c’était le Prince lui-même qui était supposé gérer cette troupe.

« Si je comprends bien, son Altesse Royale a l’intention de faire jouer ces pièces à la seule intention du peuple ? Il ne gagnera pas même quelques Royals de cuivre! Pourtant, les acteurs sont supposés toucher le même salaire qu’à la Forteresse de Longsong. Financièrement, cette entreprise est vouée à l’échec. Le Prince entendait-il monter ce spectacle pour le simple divertissement ? »

– « Mais très cher », reprit Irène qui ne s’était pas aperçue des changements dans l’expression de Ferlin : « sachez que si ces deux histoires sont vraiment passionnantes, elles ne sont rien en comparaison avec la troisième ײJournal d’une Sorcièreײ !  Je parie que si les théâtres de Redwater City ou de la Cité du Roi lisaient ceci, ils recruteraient immédiatement une troupe juste pour cette pièce, organiseraient des répétitions spéciales et lanceraient même une campagne publicitaire anticipée! Je dois reconnaitre que Scroll est vraiment un génie. Dans ײJournal d’une Sorcièreײ, le contenu comme le style de narration sont beaucoup plus avancés que ceux de toutes les pièces actuelles. »

– « En êtes-vous certaine ? »

Lorsque Ferlin vit son air solennel, il dût lutter contre son envie de rire : « À la forteresse de Longsong j’ai souvent entendu citer le nom célèbre de Kadin Faso, ses pièces ײDélicate Roseײ et ײUn Prince à la recherche de l’amourײ étaient louées partout, bien au-delà des frontières de notre royaume. J’ai même entendu dire que d’autres royaumes avaient envoyé leurs propres troupes pour observer et apprendre de lui. Croyez que cette pièce surpasse ces grands classiques ? »

– « Evidemment je le crois. Douteriez-vous de mon point de vue, très cher ? »

 La jeune femme se prit à développer le sujet : « Mise à part l’intrigue, cette histoire repose sur une technique narrative que vous n’avez jamais vue auparavant. A la différence des pièces précédentes, où un narrateur relatait l’histoire, celle-ci repose sur la perspective de chacune de trois sorcières. Chacune de leurs décisions ont un impact considérable sur les deux autres, cependant elles l’ignorent. 

Mais presqu’au milieu de l’histoire, leurs parcours, en apparence indépendants, se recoupent et à partir de ce moment, les trois sorcières formeront un tout inséparable. Je dois dire que ce nouveau style narratif qui consiste à développer parallèlement plusieurs pièces fera sans aucun doute sensation, et bien au-delà de Border Town. Je me demande combien réaliseront le niveau qu’atteint cette histoire! »

Tout excitée, Irène prit une plume et du papier afin de se lancer dans la rédaction de son courrier :

– « Quoi qu’il en soit, il faut absolument que je demande à mes anciens partenaires de théâtre de venir au plus vite. J’ai hâte de voir la surprise sur leurs visages! »

Mais Ferlin s’approcha et lui prit la main :

– « Irène, ne pensez-vous pas… que l’histoire risque de heurter le bon sens ? »

Lorsqu’il eut entendu sa femme répéter, le chevalier reconnut que la pièce était très excitante. Elle montrait à la fois le bien et le mal qui se côtoient dans la nature humaine et se chevauchent, de plus la manière dont on présentait les sorcières était totalement opposée à l’interprétation qu’en faisait l’Eglise.

En outre, le sujet était traité avec beaucoup de délicatesse. La troisième sorcière, par exemple, du fait que sa famille prenait soin d’elle, pouvait développer librement sa capacité et découvrait que la question de la Morsure du Démon n’était qu’un leurre.

À l’exception de leur capacité à contrôler la magie, les sorcières ressemblaient à n’importe quelle personne ordinaire. Elles aussi voulaient simplement pouvoir rire, pleurer, se retrouver avec leurs proches et pouvoir donner libre cours à leur peine lorsque l’un d’entre eux disparaissait.

« Son Altesse, Lord Roland ne craint-il pas que la nouvelle se répande et attire l’Eglise ? » 

– « Violer le bon sens ? Non… Ferlin, avant d’être sorcières, ces jeunes filles étaient des personnes comme tout le monde, n’est-ce pas ? »

–  « C’est vrai. »

– « Et si cela m’était arrivé à moi ? » demanda Irène à son époux, les yeux grands ouverts : « Si je devenais sorcière, pensez-vous que je serais mauvaise ? »

– « Non, bien sûr que non! », répondit promptement le chevalier. « Vous resterez toujours la bonne personne que j’ai connue. »

– « Et si nous donnons naissance à une fille et qu’elle devienne une sorcière ? »

– « Cela n’arrivera jamais! »

Il se tut soudain, conscient de ce que son épouse tentait de lui faire comprendre. C’était autre chose de parler d’une sorcière inconnue et d’un proche avec lequel on vivait continuellement.

– « En effet » approuva Irène : « Mais si nous avions vraiment une sorcière… »

Le chevalier mit un genou à terre, comme il l’aurait fait pour jurer allégeance et déclara :  

– « Dans ce cas, j’agirai comme le père de la troisième sorcière dans l’histoire. Comme lui, je ferai de mon mieux pour prendre soin d’elle. »

– « Voici une réponse pleine de bons sens » dit-elle. Puis posant sa plume, elle ajouta en riant « Que diriez-vous d’essayer dès maintenant ? »

– « Puisque vous le proposez, ma chérie », lui murmura-t-il tendrement à l’oreille avant de la prendre dans ses bras et de l’emporter dans leur chambre.

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